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butin que de combats, ils laissèrent la Narbonnaise en repos pour se jeter sur l’Aquitaine, qui était sans défense. La dévastation s’étendit, donc encore une fois sur ce beau pays, et l’Armorique, que les pillages de 407 n’avaient fait qu’effleurer, comme nous l’avons dit, devint le rendez-vous de ces bandes affamées. Un cri d’effroi partit de toute la côte de l’Océan ; les lettres des municipalités, les députations des provinces, se succédaient sans interruption au palais d’Arles pour demander assistance, supplier ou plutôt sommer l’empereur d’envoyer au plus tôt des troupes sur les lieux.

Celui-ci, placé entre la guerre civile et la guerre barbare, ne savait que devenir lui-même ; il n’osait détacher un homme de peur de découvrir sa capitale. La seule ressource encore en son pouvoir était d’appeler de nouvelles troupes d’outre-Rhin, et il envoya le Frank Edowig, le meilleur des généraux qui lui restaient fidèles, négocier chez les Alamans et les Franks la levée d’une armée auxiliaire, mesure dangereuse, et peu faite pour rassurer les Gaules dans la circonstance présente, où le barbare ami n’était guère moins suspect que le barbare ennemi. D’autres soucis presque aussi cuisans venaient dans l’âme de Constantin se mêler à celui-là. Honorius réclamait instamment l’armée qui lui avait été promise, et dont il ne pouvait plus se passer, car Alaric, après avoir assiégé Rome et touché la rançon de la ville éternelle, venait assiéger Honorius lui-même. Y avait-il une rançon possible pour un empereur ? et l’homme qu’il avait consenti à nommer son frère le laisserait-il tomber sans la moindre assistance au pouvoir des Goths ? À chaque lettre venant de Ravenne, Constantin s’excusait et promettait pour gagner du temps, honteux de lui-même, et n’osant avouer son impuissance après tant de promesses et de sermens échangés à la face du monde. Ses tergiversations, mal interprétées, lui attirèrent chez les Italiens la réputation d’un aventurier sans foi et d’un homme de néant.

La popularité dont avait joui un instant ce favori de la fortune tombait pièce à pièce, au dedans comme au dehors. L’idole des Gaulois était devenue l’objet de leurs dénigremens et de leurs attaques. Son désir irréfléchi d’unanimité, quand les circonstances n’en faisaient pas un besoin public et qu’on n’y pouvait apercevoir que la satisfaction d’une vanité personnelle, sa conduite vis-à-vis de ses anciens compagnons d’armes, enfin les engagemens qu’il avait pris si imprudemment avec l’Italie, toutes ces fautes lui méritaient le blâme des gens sensés. On se plaignait, en jouant sur les mots, de « l’inconstance de Constantin[1]. » C’était la formule des plus modérés. Pour le peuple, qui oublie si facilement les services rendus et rabaisse

  1. « In Constantino inconstantiam… » (Sidon. Apollin.)