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un homme sans ambition comme sans mérite, doux et timide de caractère, et qui n’aimait rien tant que le repos. Il n’accepta qu’en tremblant l’offre que lui faisait Gérontius, moins séduit par l’éclat de la pourpre qu’effrayé de la main qui la lui présentait. Après l’avoir affublé d’un manteau impérial, probablement de celui que Constant avait laissé au palais de Saragosse, on le proclama césar et auguste. Quand Gérontius se fut ainsi procuré le simulacre dont il avait besoin pour rallier les soldats, il appela les Espagnols aux armes ; il invita l’aristocratie ibérienne et le peuple à venir se joindre à lui pour punir le meurtrier de leurs compatriotes, l’infâme qui osait se dire fils de Théodose, quand il avait persécuté et presque anéanti sa famille, le fourbe qui reniait ses compagnons comme il avait trompé Honorius. Si ce n’étaient là les paroles exactes du Breton, c’en était le sens. Sous le feu de ces provocations, l’Espagne s’agita ; les chefs ibériens descendirent de leurs montagnes, les cliens reprirent les armes. Une marche hardie sur Tarragone pouvait seule arrêter le mal à son principe ; Constant l’essaya, mais il fut battu, et l’armée gauloise dut regagner précipitamment les Pyrénées après avoir éprouvé de grandes pertes. Constant revint à la charge ; il força de nouveau les passages de la montagne ; il attaqua Gérontius, le battit à son tour, et prouva au maître que l’élève avait profité de ses leçons. Les deux rivaux se disputèrent ainsi les provinces situées au pied méridional des Pyrénées ; la guerre se prolongea avec des succès balancés, et l’Espagne incertaine ne s’arma plus qu’avec lenteur.

L’humiliation de cette lutte à partie égale entre lui et le misérable moine dont il s’était tant moqué rendit Gérontius comme fou de colère. Il ne rêva plus que bouleversement et ruine, et une idée infernale lui traversa la tête. Pour créer de l’occupation aux troupes gauloises sur leur propre territoire, il imagina de lancer contre Constantin et contre sa métropole cette horde d’Alains, de Vandales et de Suèves qui vivait en paix depuis deux ans dans le cantonnement que l’empereur des Gaules lui avait concédé, et qui restait maintenant spectatrice indifférente de la guerre civile. Il écrivit aux chefs de ces Barbares ; il envoya des émissaires dans leurs campemens pour les exciter à reprendre les armes ; il leur promit enfin son concours s’ils voulaient attaquer la Narbonnaise. Dans ses espérances de destruction universelle et de vengeance, Gérontius voyait déjà Constantin aux abois, obligé de rappeler l’armée de Constant, et lui Gérontius chassant cette armée l’épée dans les reins, la traquant, l’étreignant entre les troupes d’Espagne et les Barbares comme dans un étau, et s’emparant de ses ennemis. Sa négociation près des Barbares ne réussit qu’à moitié : Vandales, Alains et Suèves, certains de l’impunité, sortirent bien de leur cantonnement ; mais, plus curieux de