Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/293

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lorsqu’ils quittèrent l’Égypte pour la terre promise. Seulement la ressemblance s’arrête là, car il n’y a pas le moindre pharaon aux trousses de cette multitude. Rien mieux que cette foule pressée sur une longue route ne peut donner une idée de l’innombrable population de l’Inde, et de la puissance qu’exercent sur elle, malgré cent ans de domination étrangère et chrétienne, les préjugés d’une religion imbécile. Toutes les races de l’Inde sont représentées par échantillon dans cette cohue : le vaillant Rajpoot aux formes herculéennes, le timide Bengali, les hommes du Punjab, les Arabes du Scinde. Et quelles mœurs que celles de ces pèlerins ! Celui-ci arrive des extrémités de la présidence de Madras et ne porte avec lui pour tout bagage qu’un bâton et un pot de cuivre. Dans ce chariot traîné par des bœufs, entassés l’un sur l’autre plus que ne le sont des harengs dans une caque, se trouvent une vingtaine d’individus, hommes, femmes et enfans, qui ont voyagé ainsi depuis des mois ; une longue file de chameaux amène ces pèlerins des déserts de la Haute-Asie. Voici une troupe de femmes, vêtues de robes sombres et d’allures suspectes, qui parcourent la route en poussant des cris inouis dont les sons discordans dominent les éclats de tambour avec lesquels des voyageurs charment les ennuis d’une halte. Enfin dans ce palanquin aux flancs dorés s’épanouit quelque riche babou, qui a abandonné le soin de ses affaires temporelles pour s’occuper de ses affaires spirituelles et venir rendre hommage au dieu Gange.

Des scènes étranges et pleines de couleur locale annoncent aux voyageurs les abords du camp des pèlerins. Sur les rebords de la route, de hideux mendians étalent avec complaisance aux regards des passans des lèpres repoussantes, de venimeux ulcères, des membres inexplicables. Des hommes saints, les cheveux couverts d’ordures et dépourvus de costume, appellent la charité avec des cris forcenés, ou bien encore ce sont des bœufs sacrés et phénomènes, avec un caparaçon couvert de coquillages et une cinquième jambe attachée à l’épaule ou à la croupe, prodige cousu de fil blanc dans toute l’acception du mot, qu’acceptent sans inventaire ces populations crédules. La plus abondante récolte d’aumônes est semée sur un tapis étendu près d’un sannyassi qui eut la curieuse idée de se coucher au milieu de la route, sous plusieurs pouces de terre, dont sa face et sa poitrine sont couverts, exercice pneumatique dont la victorieuse concurrence ruine un pauvre bœuf sacré qui à quelques pas de là offre en vain à l’attention des fidèles une jambe inutile fort artistement soudée à sa nuque.

La réunion d’Hurdwar participe à la fois de la solennité religieuse, de la foire commerciale et du carnaval. Parmi les croyances superstitieuses qui se rattachent à ces lieux consacrés, une des plus répandues