À partir de Meerut, le voyageur dont la course se dirige vers le versant est des montagnes de l’Himalaya doit renoncer aux comforts relatifs de la petite voiture dans laquelle il a parcouru le Great-Trunk-Road, et avoir recours à cet exécrable et primitif véhicule, le palanquin. Ramenons un peu à sa plus fidèle expression ce véritable luxe de l’Inde, dont tant d’honnêtes gens se font une magnifique idée : une boîte de six pieds de long sur deux pieds et demi de large, que quatre humains ou soi-disant portent sur leurs épaules avec une vitesse moyenne de trois nœuds à l’heure et un cahotement incessant, accompagné d’une sorte de bêlement plaintif, qui finit par donner, sinon le mal de mer, du moins une sorte de vertige. Joignez à ces agrémens qu’un porteur de flambeaux, dont l’usage, lune ou non, renforce votre attelage, prend particulièrement à tâche de vous jeter aux yeux les éclairs de sa torche, et vous avez l’image à peu près fidèle d’un mode de locomotion auprès duquel les coucous, les voiturins et les coches, ces modestes appareils qui n’existent plus en Europe qu’à l’état de souvenir, semblent le dernier mot de la civilisation et du progrès. Disons encore que si dans le palanquin vous n’avez pas à redouter les excès de chevaux indomptés, les caprices de votre attelage de bipèdes sont souvent fertiles pour vous en mésaventures. Que la nuit, soit obscure ou pluvieuse, qu’il y ait fête au village voisin, et sans avis préalable votre boîte et votre personne sont déposés au milieu de la grand’route, au mieux sous un arbre, et il vous faut attendre le retour volontaire de vos porteurs pendant des nuits entières souvent, en compagnie de féroces humeurs, de rêves de bêtes fauves attirées autour de votre souricière par l’appât d’un délicat souper, à moins que, voyageur aguerri aux déboires, et c’est le plus sage, vous n’acceptiez philosophiquement une halte imprévue qui vous donne quelques heures de profond repos.
Ma bonne étoile de voyageur a pris soin de me réserver une compensation de tous ces ennuis, et a conduit ma course errante en temps favorable pour assister aux fêtes du pèlerinage d’Hurdwar, l’un des pèlerinages les plus fréquentés par la population de l’Inde. Quoique plus d’une semaine doive encore s’écouler jusqu’au jour de la grande solennité, le 12 avril, des limites de Meerut à Hurdwar, à plus de trente lieues à la ronde, les routes sont littéralement couvertes de monde. C’est une file continue de piétons, d’éléphans, de chameaux, de chariots à bœufs, une véritable immigration : des flancs de mon palanquin, je peux me croire au milieu d’une nation entière en voyage, et plus nombreux sans doute n’étaient pas les Hébreux