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Pendant ce terrible carnage, le roi de Perse demeurait assis dans la mosquée de Roshin-ul-Dowlut. Sa contenance était si sombre et si terrible, que ses esclaves seuls osaient l’approcher. Enfin l’empereur Mahomet, entouré de ses omrahs, parut dans le divan. Les omrahs se prosternèrent le front dans la poussière, et Nadir-Shah leur ayant demandé ce qu’ils voulaient : « Épargne la ville ! » crièrent-ils d’une seule voix. L’empereur ne dit pas un mot, mais un torrent de larmes inondait son visage. Le tyran, touché de cette douleur muette, rengaina son sabre en disant : « Pour toi, prince Mahomet, je pardonne. » Et il envoya à ses troupes l’ordre de cesser le massacre.

Ce terrible châtiment de la révolte de la veille n’avait pas toutefois apaisé la colère du roi de Perse, et il fit main-basse sur les richesses de l’empereur mogol. Il s’empara au trésor public de 4 millions sterl. et de 2 millions sterling au trésor privé, des diamans de la couronne, évalués à 30 millions sterl., y compris le fameux trône impérial, d’une valeur de 12 millions sterl., enfin de la garde-robe et des armures du monarque vaincu, estimées à 7 millions sterling. Outre cela, il fut levé sur la ville une contribution en espèces de 8 millions sterl. et de 10 millions en bijoux, si bien que, sans tenir compte des chevaux, des chameaux et des éléphans dont les vainqueurs retinrent possession, la rançon de la cité impériale dépassa la somme énorme de 62 millions 1/2 de livres sterling !

Notons, avant de quitter les hauteurs du Kutub, qu’un daguerréotypeur, à la besogne pendant mon séjour sur la plate-forme, a tiré plusieurs épreuves où mon chapeau rond et ma veste de chasse figurent de la manière la plus distincte, et que ce caprice du hasard leur vaudra peut-être l’honneur de représenter aux yeux de quelque antiquaire futur le costume authentique de Kutub ou de Nadir-Shah.

Il est temps de rentrer à Dehli, où j’ai donné rendez-vous à des marchands qui doivent m’apporter les divers objets d’industrie indienne pour lesquels les artistes de cette capitale sont encore sans rivaux, des étoffes d’or, des écharpes brodées, des châles d’un délicieux travail, surtout des miniatures d’une exquise finesse. L’artiste enturbanné, qui m’apporte lui-même ses chefs-d’œuvre et qui m’arrive dans un cabriolet vert à un cheval, est un des spécimens les plus effrayans des funestes influences de l’opium qu’il m’ait été donné de rencontrer. Il a quarante ans à peine, et ses traits flétris, sa peau collée sur les os, ne seraient pas déplacés sur les épaules d’un octogénaire. Rien ne manque à la décrépitude de cette vieillesse anticipée, et l’on ne peut s’expliquer par quel miracle ces mains tremblantes et ces yeux éteints parviennent à guider le pinceau avec une délicatesse de touche digne de Mme de Mirbel.