Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/289

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de 242 pieds sur une base d’environ 45 pieds de diamètre. Il est divisé en quatre balcons situés à hauteurs inégales, et les entablemens qui les supportent, sculptés avec un art exquis, donnent à ce curieux débris du passé un cachet extraordinaire de monument élevé par des Titans et embelli par le ciseau de quelque artiste de premier ordre. Tout à l’entour du Kulub s’étendent des galeries soutenues par des colonnes d’une architecture primitive, couvertes de sculptures excentriques, quelquefois même fort lascives, mais toutes religieusement mutilées. Ces mutilations et quelques inscriptions conduisent les savans à admettre que le Kutub fut bâti au XIIIe siècle par l’empereur Kutub, le premier de la dynastie afghane, pour servir de minaret à une mosquée construite sur les ruines et avec les ruines de vingt-cinq temples hindous. Un escalier tournant conduit au faîte de ce singulier édifice, et le panorama vraiment magnifique qui de son sommet se déploie sous vos yeux est une ample récompense des fatigues d’une ascension de plus de deux cents marches. Partout à l’horizon des vestiges imposans de puissance et de splendeur. Quels récits émouvans de victoires et de catastrophes, de sublimes dévouemens, de trahisons ou de crimes raconteraient ces froides pierres ! Quelle voix de prédicant peut parler plus éloquemment du néant des grandeurs humaines que cette plaine à perte de vue couverte de masses informes qui ont été d’imprenables forteresses, de magnifiques palais, des tombes royales ! Histoire pleine de vicissitudes en effet que celle de cette Dehli sous les murs de laquelle les jeux de la force et du hasard ont cent fois décidé du sort d’un empire de cent millions d’âmes, et qui pendant des siècles a vu tous les trésors de l’Asie affluer dans son enceinte ! Il y a cent ans à peine, en 1739, les murs de cette Babylone ont été témoins des horreurs d’un sac devant lequel pâlissent les plus tristes pages des annales européennes. Je ne puis résister à l’envie de reproduire ici le récit pittoresque de cette journée terrible, ainsi qu’il m’a été fait par un aimable et savant cicérone, infatigable lecteur des annales de l’empire mogol.

Lorsque l’armée de Nadir-Shah eut paru sous les murs de Dehli, l’esprit de trahison et les menées jusque-là secrètes des vizirs ne tardèrent pas à se révéler, et l’empereur Mahomet ne put se dissimuler les dangers qui le menaçaient au sein même de son palais. Dans sa douleur, il s’écria qu’un ennemi déclaré était moins à craindre que de perfides amis, et prit l’héroïque résolution de se rendre auprès du monarque persan et de faire appel à sa générosité. Son attente ne fut pas trompée, et Nadir-Shah, touché de cette marque de confiance, accepta pour rançon de l’empire une somme de 25 crores de roupies, environ 30 millions sterling.