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la même tunique flétrie, la même canne à pomme d’argent, le même œil avarié : il n’y a pas à douter de l’identité du personnage.

Si le fort et le palais, l’appareil militaire et le luxe de la cour ne présentent plus à Dehli que l’ombre flétrie d’une grandeur passée, la religion de Mahomet a conservé dans cette cité indienne toute sa puissance et son prestige, et c’est à tous égards un magnifique édifice que la grande mosquée qui s’élève sur un monticule d’où l’on domine la ville. On arrive au portique du temple par un escalier monumental sur les marches duquel s’étalent des boutiques d’étoffes, de comestibles, d’oiseleurs avec des milliers de pigeons, l’oiseau chéri du prophète. Des galeries soutenues de colonnes sculptées entourent la cour de la mosquée, dont vous embrassez d’un coup d’œil tous les détails. Devant vous s’ouvre cette vaste cour, dallée de marbre blanc, ornée d’un large bassin où coule une eau limpide. Comme fond du tableau, on a la mosquée de pierre rouge avec ses minarets pittoresques, ses dômes gracieux, ses salles profondes, où l’on pénètre par trois arcades gothiques. Le jour tirait à son déclin, l’œil perçait mal les profondeurs d’une demi-obscurité, et je ne pus m’expliquer un assemblage nuageux de formes indécises qui semblaient flotter au niveau des dalles de marbre ; mais les attitudes si diverses qui distinguent la prière turque m’eurent bientôt donné la clé de cette énigme, et les croyans prosternés la face contre terre s’étant relevés à la voix de l’iman, l’édifice se remplit comme par enchantement d’une foule vêtue de blanc, ayant un aspect d’ombres vraiment fort poétique.

C’est en dehors de la ville actuelle surtout que la puissance des empereurs mogols se révèle dans sa majesté. Sur plusieurs lieux, la terre est jonchée des débris du passé, et une suite non interrompue de ruines gigantesques vous conduit au Kutub, monument excentrique dont tout voyageur curieux de ses devoirs est tenu d’aborder le faîte. L’aspect de la route ne manque pas d’originalité : sous les murs de la ville, des pèlerins natifs sont établis dans des tentes bariolées qu’entourent des chevaux, des chameaux, des éléphans au piquet, et une fois dans la campagne, vous rencontrez à chaque pas des bandes d’ânes chargés de gâteaux de bouse de vache qui, vu la rareté du bois, servent de combustible aux habitans de Dehli ; des Arabes du désert, des tribus de gypsies montées sur des chameaux, ou bien encore de petites voitures à deux roues surmontées d’un dais sous l’abri duquel il vous semble qu’un humain peut à peine s’asseoir, et où, par un phénomène inexplicable de compression, une famille entière se trouve souvent entassée.

Le Kutub est situé à environ 7 milles de Dehli ; c’est un gigantesque pilier de pierres rouges qui se dresse en cône tronqué à une hauteur