Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/287

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triomphante de l’étoile de l’Angleterre en ces contrées lointaines, race martiale, digne d’un nom dans l’histoire de l’Inde, où elle n’est plus représentée aujourd’hui.

Il est temps de reprendre l’ordre chronologique du voyage, et, revenant sur nos pas, d’entrer dans les murs de Dehli, où le voyageur se trouve, comme à Agra, en présence des souvenirs de la puissance des empereurs mogols. Riche est la mine de renseignemens et de chefs-d’œuvre que les antiquaires et les savans exploiteront peut-être un jour au milieu de ces plaines où s’est élevée la Rome indienne : nous n’aurons pas l’exorbitante prétention d’empiéter sur leurs domaines, et c’est toujours à vol d’oiseau que nous visiterons le Dehli d’aujourd’hui, en ne disant que quelques timides mots du Dehli d’hier.

Le fort de Dehli, bâti sur un plan assez semblable à celui du fort d’Agra, renferme dans son enceinte le palais qui sert d’asile à l’humble et dernier représentant des empereurs de l’Inde. La seule partie du palais accessible aux étrangers se compose de salles de marbre entourées de jardins d’une assez vaste étendue, mais le tout dans un déplorable état de désordre et d’abandon. En effet, malgré les sommes considérables que l’empereur dépossédé reçoit de l’honorable compagnie des Indes, si nombreuse est sa famille, telle est la dilapidation de toute administration asiatique, que des princes du sang royal même ont à peine les moyens de pourvoir aux dépenses de la plus modeste existence. Malgré ce dénûment de la famille impériale, vous retrouvez aux portes du palais, dans les cours de la forteresse, cette foule de serviteurs oisifs qui sont l’un des luxes et l’une des plaies de l’Inde. J’aime à croire toutefois qu’une demi-douzaine d’artistes réfugiés sous un hangar où ils se livrent au plus exécrable sabbat n’appartiennent pas à la musique impériale ; mais il y a autour de vous des gardes du corps armés d’arcs et de carquois, des lettrés, des porteurs d’éventail, des veneurs, de sages brahmines, même des eunuques qui se reconnaissent facilement à leurs traits flétris et à leur démarche dolente. Je distingue parmi eux une variété de l’espèce, l’eunuque chasseur, un monstre armé d’un fusil qui porte fièrement à la main les dépouilles de deux pauvres tourterelles qu’il vient d’assassiner dans les jardins. Un serviteur de la couronne, d’un galbe peu opulent, vêtu d’une tunique rouge flétrie, armé d’une canne à pomme d’argent et affligé d’un œil avarié, vous fait, moyennant backchich, les honneurs de cette demeure d’une royauté déchue, et, par un singulier phénomène d’ubiquité, vous retrouvez, sans avis préalable, cet individu à l’autre extrémité de la ville, aux portes de la grande mosquée (Jumna-Musjeed), tout disposé à continuer ses fonctions de cicérone. C’est