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loin du feu, que la victoire ait prononcé entre les combattans. Reinhard mourut en 1778, et le vœu des officiers et soldats porta au commandement du bataillon sa femme, la Begum-Sumroo, à l’exclusion d’un fils du premier lit laissé par Reinhard, homme d’une incapacité notoire. Dans ce poste périlleux, où elle fut confirmée par l’empereur Shah-Allum, la begum eut souvent à donner des preuves d’une résolution toute virile. Une fois entre autres, l’officier chargé du commandement actif des bataillons, Allemand de naissance, nommé Paules, venait d’être assassiné : les symptômes les plus alarmans d’insubordination éclataient parmi les soldats et les officiers, lorsque deux jeunes esclaves, pour aller rejoindre leurs amoureux, soldats européens, mirent le feu à la maison où elles étaient renfermées avec d’autres femmes de la suite de la begum et ses objets précieux, puis s’échappèrent au milieu du tumulte de l’incendie. Les deux esclaves ayant été découvertes dans le bazar d’Agra quelque temps après, la begum, à la suite d’une instruction sommaire, les fit fouetter et ensevelir vivantes dans des fosses ouvertes à l’avance devant sa tente, exemple terrible qui conquit pour plusieurs années le respect de cette soldatesque effrénée à l’autorité de son chef enjuponné.

En 1778, la begum embrassa la religion catholique, et épousa en 1793 un gentilhomme français, M. de Levassoult, qui se trouvait à cette époque à la tête des bataillons au service du Scindiah. Une catastrophe vraiment romanesque termina cette union. Les nobles sentimens de M. de Levassoult, ses manières raffinées, lui firent bientôt prendre en profond dégoût une position qui l’obligeait à un contact de tous les jours avec des hommes sans éducation et sans principes ; il ne pouvait de plus se dissimuler que la préférence de la begum lui avait attiré la haine acharnée des plus influens de ses officiers. Tous ces motifs le portèrent à entrer en relation avec l’autorité anglaise, à laquelle il demanda un sauf-conduit en vertu duquel il pût se retirer avec sa femme sur le territoire de Chandernagor. Le sauf-conduit fut accordé, mais les bataillons, instruits des négociations de Levassoult, levèrent immédiatement l’étendard de la révolte et partirent en armes pour le saisir avant qu’il eût pu mettre à exécution ses projets de retraite. Instruit de l’approche des rebelles, le couple partit au milieu de la nuit, la begum en palanquin, Levassoult à cheval. La position était terrible ; l’officier français ne pouvait se dissimuler les affreux traitemens qui l’attendaient, lui et sa femme, si un sort contraire les faisait tomber entre les mains des soldats révoltés. Aussi annonça-t-il à la begum qu’il était déterminé à ne pas se laisser prendre vivant, et cette dernière lui affirma sous serment que cette résolution suprême était aussi la sienne.