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le marteau de l’encanteur les mosaïques, les marbres du bain condamné. Dieu merci, la spéculation ne fut pas assez heureuse pour que l’on pût songer à vendre en détail ces admirables reliques des maîtres de l’Asie, idée que quelque parcimonieux administrateur eût bien pu avoir !

Pour réparer le tort que les oubliettes du palais et les renseignemens de mon noir cicérone ont pu faire dans l’esprit de mes belles lectrices aux mœurs conjugales des empereurs mogols, je prendrai la liberté de les conduire sans transition au magnifique tombeau élevé au bord de la Jumna par l’empereur Shah-Jehan à la mémoire de la sultane Nourmahal, et connu sous le nom de Tarje d’Agra. La mort de cette belle sultane fut entourée, s’il faut en croire la tradition, de circonstances surnaturelles qui expliquent le culte et la fidélité que son mari garda à sa mémoire. En travail d’accouchement, Nourmahal reposait sur son lit entourée de ses filles, lorsque l’on entendit soudain l’enfant geindre dans ses entrailles. Ces cris frappèrent de terreur l’assistance et la sultane, qui, voyant là un avertissement d’en haut, envoya immédiatement chercher l’empereur et lui dit que jamais mère n’avait survécu à un pareil présage, et qu’elle sentait sa fin approcher. Or, avant de mourir cependant, elle avait deux demandes à lui adresser : la première, de ne pas se remarier pour que les enfans d’un autre lit ne vinssent pas disputer aux siens leur légitime héritage ; la seconde, qu’il mît à exécution sa promesse de lui bâtir un mausolée dont la magnificence fît passer son nom à la postérité. Nourmahal mourut quelques instans après cet entretien, et l’empereur, fidèle à son serment, fit élever à sa mémoire un temple où l’art et les magnificences de l’Orient ont dit leur dernier mot. Quelle plume pourrait rendre justice à l’harmonie des formes de cette poétique mosquée, bâtie au bord du fleuve, sur une terrasse flanquée de quatre tours, au milieu d’ombrages d’une éternelle verdure ? Quel pinceau pourrait reproduire la blancheur neigeuse de ces dômes aux élégantes proportions, ces suaves portiques enguirlandés d’arabesques de marbre noir et relevés de colonnes élancées ? A l’intérieur de l’édifice comme à l’extérieur, tout est marbre, marbre blanc ! Les dalles qui couvrent le sol, les parois de la muraille, les ouvertures mêmes par lesquelles pénètre une lumière mélancolique, sont de marbre, et l’on donnera une idée du travail prodigieux de ces fenêtres en disant que chacune d’elles renferme plus de 800 petites ouvertures. Au milieu de la mosquée, une grille de marbre, découpée comme de la guipure, protège deux cénotaphes correspondant exactement aux tombes de l’empereur et de sa compagne, qui s’élèvent dans un caveau souterrain du monument. Des guirlandes de fleurs en mosaïque, des