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bassin de marbre, des bosquets de roses et de jasmins, — et si vous détournez les yeux de ce coquet tableau, vous dominez à vol d’oiseau un des plus beaux panoramas qu’il soit possible d’imaginer : une immense et verdoyante plaine au milieu de laquelle s’élèvent, les merveilleux édifices du Tarje et du tombeau d’Akbar, et que le flot argenté de la Jumna sillonne de ses replis capricieux. À la vue de ces beaux lieux, le plus prosaïque ne peut se défendre d’un mouvement d’enthousiasme : involontairement, sous son regard ébloui, cette solitude s’anime, les roses sont en fleurs, l’eau jaillit dans ces fontaines desséchées, une foule respectueuse entoure le grave et noir personnage, couvert de pierreries, qui dicte la loi aux peuples de l’Inde. À la vue de ces beaux lieux, disons-nous, le plus prosaïque n’a pas besoin de grands efforts d’imagination pour se trouver en plein durbar de celui qui prenait les titres de « étoile de justice, soleil de puissance, roi des rois, empereur des empereurs, » suivant l’étiquette consacrée.

Adjacente à ce palais des Mille et une Nuits, dans l’enceinte des remparts, se trouve une autre habitation royale de construction antérieure. La pierre rouge a seule été employée dans cet édifice, dont quelques salles offrent d’élégantes sculptures et de gracieuses proportions. Par malheur, presque tous ces bâtimens tombent en ruine, et il ne reste de suffisamment conservée que la partie du palais consacrée aux prisonniers d’état, une série de petites cellules obscures, ouvrant sur un long corridor, au milieu duquel se trouve un profond, abîme de véritables oubliettes qui, suivant mon guide, servaient de dernier asile aux sultanes qui avaient fait quelques mistake (traduisons faux pas). Nous ne saurions quitter le fort sans visiter la mosquée connue sous le nom de Motee-Musjeed et bâtie par Shah-Jehan en 1656. Cet édifice, tout entier de marbre blanc, sol, murailles et dômes, ne renferme d’autres ornemens que des bas-reliefs représentant des fleurs d’un exquis travail, et la simplicité chaste et majestueuse de son ensemble ne le cède qu’à cette merveille de l’art indien, le Tarje. À la porte de la mosquée, sous un hangar, se trouve une collection de prodigieux tambours, de tam-tams monstres, qui donnent la plus effrayante idée de la musique des empereurs mogols.

Je regrette d’avoir à terminer le récit de ma visite au fort d’Agra en rapportant un acte de vandalisme commis par le marquis de Hastings, et dont lord William Bentinck se rendit complice. Par l’ordre du marquis de Hastings, il y a quelque vingt ans, la plus belle cuve de marbre de l’un des bains royaux fut enlevée pour être expédiée en Angleterre et offerte en présent au prince régent. Lord William Bentinck compléta cette honteuse dévastation en faisant passer sous