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l’Europe, conduisent le voyageur en quelques heures de Calcutta à Ranneegunge (130 milles) ; là il doit se résigner à adopter un mode de locomotion d’une civilisation moins avancée, et dont l’introduction dans l’Inde, soit dit à la honte du système de statu quo qui a si longtemps dominé dans les conseils de l’honorable compagnie, date à peine de quelques années. Jusqu’à ces derniers temps, c’est à bras d’hommes, dans un palanquin, avec mille lenteurs et encore plus de fatigues et d’ennuis, que le voyageur parcourait toute l’étendue des possessions anglaises. Depuis l’ouverture du Great-Trunk-Road, des compagnies ont établi des communications par voitures publiques sur tout l’espace qui sépare Calcutta des grands centres de Dehli et d’Agra, des importantes stations militaires de Meerut et d’Umballah ; ces véhicules sont particuliers à l’Inde. Imaginez une petite citadine à quatre roues peinte en vert, garnie à l’intérieur d’un matelas, de coussins et de filets qu’un voyageur prudent ne manque pas de remplir de provisions de bouche, car il ne faut compter qu’avec toute réserve sur les ressources que la route peut offrir à un estomac vide ou à un gosier altéré. Des auvens de toile attachés au toit de la voiture en protègent l’intérieur contre les rayons obliques du soleil à son lever ou à son déclin ; l’impériale, entourée d’une grille, reçoit le bagage du touriste et son domestique. Majestueux sur le siège est un cocher enturbané qui porte fièrement, sur une bandoulière de drap rouge, une plaque de cuivre où sont gravés ces mots : North Western Dawk Company, ou Inland Transit Company, insignes des associations rivales. Enfin dans les brancards un cheval au flanc retroussé, d’aspect mélancolique, rétif neuf fois sur dix, s’il ne se décide à quitter son écurie qu’après mille difficultés, poursuit sa carrière, une fois commencée, à un triple galop que viennent souvent interrompre les plus déplorables catastrophes. On a maintenant une idée à peu près exacte de l’appareil qui conduit par le Great-Trunk-Road à Bénarès, Lucknow, Agra, Dehli, et que nous n’abandonnerons que pour aller faire le curieux pèlerinage d’Hurdwar.

Il ne sera peut-être pas hors de propos de dire ici quelques mots de la vie et des plaisirs du voyageur sur cette longue route. Pendant neuf mois de l’année, les chaleurs torrides qui suivent immédiatement le lever du soleil forcent le touriste à s’arrêter dès le matin et à se réfugier dans les bungalows que le gouvernement anglais entretient sur le Great-Trunk-Road de distance en distance ; mais il ne faut pas s’exagérer les ressources de ces établissemens. Des murs blanchis à la chaux, une table, un lit, deux chaises, un lavabo à cuvette de cuivre, composent uniformément le mobilier de ces asiles publics. Quant aux ressources culinaires, il est facile d’en dresser le menu : du riz, des œufs et une poule qui chante encore à l’arrivée du voyageur,