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foule idolâtre qui le salue de ses cris et de ses applaudissemens.

Toutes les réjouissances publiques de la population native ne portent pas ce caractère de superstition brutale et sauvage, et à certains jours on la voit accourir pour assister à des sortes de jeux olympiques, où l’exercice de la lutte joue le plus grand rôle. La lutte est en effet un des plaisirs favoris des natifs, et il est de fashion parmi les riches babous, au lieu d’une écurie de course ou d’une meute de chasse, d’entretenir des athlètes qu’ils engagent les uns contre les autres pour des sommes souvent considérables. Une vaste cour entourée de bâtimens à un étage, aux toits en terrasse, écuries, magasins ou usines, est le cirque improvisé où se célèbrent ces jeux renouvelés des Grecs. Pressée sur cinq et six rangs et couvrant la plate-forme des toits, la foule suit avec un intérêt palpitant tous les incidens du sport, et ces milliers de corps nus, de têtes brunes, de chevelures noires, suspendus entre ciel et terre, ne sont certainement pas un des traits les moins curieux du tableau. Au milieu de la cour, une enceinte entourée d’une petite palissade, et dont le sol a été fraîchement remué, renferme les lutteurs et leurs maîtres, ces derniers, de vénérables personnages, en robes de mousseline, en turban de cachemire ou de soie brodée d’or, les autres nus sauf un caleçon infinitésimal et offrant aux yeux des proportions dignes de l’antique. Quant à la lutte elle-même, comme je ne suis point initié aux secrets de l’art, le spectacle m’en a paru assez maussade ; mais j’étais évidemment le seul de cet avis, à en juger par l’émotion de la foule au moment du combat et par les applaudissemens frénétiques dont elle saluait les athlètes vainqueurs.

La munificence des riches babous, qui défraie les dépenses de ces divertissemens publics si chers à la population native, s’exerce aussi à certains jours au profit de la société européenne de Calcutta. Voici quelques traits d’un rout anglo-indien qui ne manquent pas d’originalité. Par un singulier caprice de l’amphitryon, il fallait, pour arriver aux salles de réunion, suivre un véritable cours d’histoire universelle illuminé en verres de couleur, car l’allée qui conduisait à l’habitation était ornée de statues de carton peint empruntées aux époques les plus diverses de l’histoire de l’homme : Adam et Eve chassés du paradis, Hercule terrassant l’hydre de Lerne, Romulus et Rémus sous leur louve, Coriolan, François Ier, lord Nelson, l’empereur Napoléon, le duc de Wellington, la reine Victoria, et au milieu de toute cette belle compagnie, fort étonnées de s’y trouver, certaines célébrités filantes de 1848, dont je ne rappellerai pas les noms, Dieu merci oubliés aujourd’hui. La salle de bal, resplendissante de lumières, présentait des détails de décoration assez curieux. Au plafond, au-dessous des lustres et des girandoles, étaient suspendus des poissons