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meuble favori ils hésitent encore moins à profiter d’une opportunité favorable pour dérober au garde-manger quelque plat de choix. Si sûrs même sont-ils de l’indulgence acquise à leurs méfaits, qu’il n’est pas rare de les voir, juchés sur le dos des bœufs et moutons qui paissent dans la plaine, se tailler d’un bec indiscret beefsteaks et côtelettes, sans accorder la moindre attention aux réclamations les plus énergiques des propriétaires de la chose.

À la saison des pluies, les argeelah, ou butcher’s bird, ou philosophes, oiseaux grands comme de petits hommes, au long bec, au jabot rougeâtre, au crâne pelé, à l’aile noire, viennent partager avec les corbeaux les travaux de l’assainissement de la cité. C’est assurément l’un des traits les plus originaux de la physionomie de la capitale du Bengale que cette population d’énormes emplumés, sans peur sinon sans reproche, qui, circulent d’un pas majestueux dans les rues, sur les promenades, au milieu des carrosses et de la foule, et semblent parfaitement au fait de la disposition légale qui frappe d’une amende de 5 livres sterling quiconque s’avise de toucher une plume de leur aile, je ne dis pas, et pour cause, un cheveu de leur tête. Je ne crois pouvoir donner une meilleure idée des services importans que rendent ces bipèdes à la communauté anglo-indienne qu’en reproduisant la légende d’un dessin publié par le Punch indien (Dehli Sketch) il y a quelques années. Aux bords heureux du Gange se trouvent deux philosophes, le premier hâve et maigre, en véritable équipage de gastronome sans argent, le second adossé contre un arbre, le ventre gonflé, la face douloureuse. « Eh bien ! mon ami, how do you do ! dit le premier. — Ah ! mal, très mal, répond le second, le gros babou de la nuit dernière me pèse horriblement sur l’estomac. »

Pour compléter cet aperçu des variétés de la population zoologique de Calcutta, il faut mentionner, au moins pour mémoire, les cancrelats, les lézards, surtout les rats, hôtes inféodés du palais du nabab aussi bien que de la hutte du pauvre hindou, et enfin les chacals qui, à la nuit, envahissent la ville par bandes et saluent les habitans de sérénades dont la maussade harmonie fait presque regretter les concerts diurnes des corbeaux.

Je pense ne pas m’écarter de l’ordre le plus logique en passant sans transition de ces plaies du Bengale aux domestiques indiens. Du jour où l’étranger a mis le pied sur les rives du Gange, il ne s’appartient plus, il est devenu la propriété, la chose d’une douzaine au moins de sauvages qui, sous prétexte de domesticité, prennent possession de sa maison et de sa personne, et s’attachent à ses pas, qu’ils ne quittent pas plus que son ombre : témoin l’aventure de ce gouverneur-général nouveau débarqué qui sortit par un beau