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se mettant ainsi à la portée des ignorans, M. Delaroche compromît ses titres auprès des érudits. On ne saurait dire non plus que l’impartialité avec laquelle il accueille tous les progrès qui s’accomplissent, toutes les idées qui s’agitent autour de lui, dégénère en scepticisme systématique. Son talent est, si l’on veut, un miroir où se reflètent des intentions exprimées par autrui et les symptômes généraux du goût actuel. Il reproduit aussi, et non moins fidèlement, ce que l’artiste a senti à propos des objets qu’il nous montre. Dans ses œuvres, fort peu agressives, mais suffisamment accentuées, et, comme aurait dit La Bruyère, « faites en somme de main d’ouvrier, » les hommes familiarisés avec les difficultés de l’art reconnaîtront les témoignages d’un savoir sérieux et d’une habileté supérieure. Ceux qui savent tenir compte seulement des idées ou des faits que traduit la peinture marchanderont encore moins leurs suffrages à un peintre si bien en mesure d’intéresser directement l’esprit. On a dit quelquefois que M. Delaroche, avec son organisation et les qualités générales de son intelligence, se serait aussi sûrement distingué dans une autre carrière que dans celle qu’il avait choisie. Peut-être en eût-il été ainsi. Si M. Delaroche, par exemple, eût voué sa vie aux travaux littéraires, il n’est pas impossible qu’il eût acquis à peu près la même réputation, et l’instinct qu’il semble avoir des effets de la scène permettrait de penser que le drame se serait formulé sous sa plume aussi heureusement que sous son pinceau. À quoi bon pourtant chercher à deviner ce que l’artiste aurait pu faire en dehors de ce qu’il a fait ? Ses œuvres établissent nettement son mérite, elles justifient de reste le parti qu’il a préféré, et le rôle de M. Delaroche est trop important, trop nécessaire même, dans l’histoire de l’art contemporain, pour qu’on puisse le supprimer sans supprimer du même coup l’expression la plus claire et comme le résumé des efforts de l’école moderne.


II

On a vu que la Mort du duc de Guise marquait avec plus de précision qu’aucun des travaux antérieurs de M. Delaroche ce qu’on pourrait appeler sa manière purement historique, cette manière popularisée déjà par dix ans de succès, et que l’Institut avait achevé de consacrer en admettant dès 1833 le peintre de Cromwell et de Jane Grey. Il nous reste à indiquer, dans les travaux qui suivirent, les caractères nouveaux à quelques égards de son talent et ses développemens successifs jusqu’au jour où la mort devait glacer cette main laborieuse, cet esprit plus actif et mieux inspiré que jamais.

Tandis que M. Delaroche travaillait au tableau de la Mort du duc de Guise, où il allait achever de faire ses preuves comme peintre