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du respect auquel il a droit, les caractères qui nuisent à sa popularité, ou qui limitent son influence.

Si nous rapprochons le nom de M. Delacroix du nom de M. Ingres, il ne s’agit nullement, — avons-nous besoin de le dire ? — d’un parallèle à établir entre les deux artistes. On sait de reste quel abîme les sépare, eux, leurs travaux et leurs doctrines. Il convient seulement de faire remarquer qu’ils affichent l’un et l’autre, dans des vues fort opposées, le même goût pour les principes absolus, la même inflexibilité de méthode, la même opiniâtreté dans la manière. Soit parti-pris, soit impuissance à se corriger, M. Delacroix n’a pas dans tout le cours de sa carrière modifié une seule fois les formes de son style, et, pas plus que M. Ingres, il n’a dévié de la route où il était entré au début. Qualités et défauts, tout lui appartient en propre, tout atteste un esprit convaincu et déterminé à ne rien concéder aux exigences d’autrui, à s’enhardir des résistances qu’on lui oppose, des échecs même qui pourront survenir. Une telle obstination est véritablement d’un artiste ; mais si elle fait la force de M. Delacroix auprès de ceux qui savent honorer les croyances sincères, elle a aussi, et pour le plus grand nombre, ses inconvéniens et ses périls. On aura beau signaler dans les œuvres du plus franc coloriste qu’ait produit l’école française la richesse des tons et de l’effet ; on aura beau rendre hommage au sentiment passionné, aux intentions poétiques qu’exprime ou plutôt que laisse entrevoir ce pinceau : la foule ne cessera jamais de s’effaroucher de certaines étrangetés et de certaines licences, qu’excuse pourtant sans les justifier la verve de M. Delacroix. Un pays comme le nôtre, où l’art en général procède de la raison plutôt que de l’inspiration spontanée, trouvera difficilement dans ces témoignages, parfois violens, d’indépendance l’entière satisfaction de ses instincts.

À côté de M. Ingres et de M. Delacroix, qui n’avaient et ne pouvaient avoir, en vertu de leur absolutisme même, qu’une action circonscrite sur le goût public, à côté aussi d’autres talens qui ne représentaient chacun que des tendances à peu près personnelles, il y avait donc place pour un artiste dont le rôle consisterait à concilier, au moins en apparence, ces doctrines ennemies, et à se faire l’interprète des aspirations de tous. M. Delaroche prit ce rôle difficile, et il le remplit avec un plein succès. Grâce à lui, et par le seul fait de son entremise, les arts qui semblaient se mouvoir dans une atmosphère étrangère à celle de notre éducation et de nos habitudes se sont comme rapprochés de nous. Les enseignemens du pinceau nous sont devenus presque aussi familiers que les enseignemens littéraires, et là où nous nous laissions rebuter par des formes d’expression ou scientifiques ou confuses ; nous avons aisément été persuadés par un langage intelligible à tous. Ce n’est pas toutefois qu’en