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En forçant les nobles à se faire citoyens sous cette égalité morale qui n’est que la dignité commune de la race humaine, il aimait à les avoir à sa tête toutes les fois qu’ils consentaient à être justes et à oublier les traces mal effacées de la conquête. Le podestat devait être issu d’une très ancienne noblesse. La réforme de 1328 plaçait encore cent vingt nobles dans le conseil de la commune. Les Ordinamenti di Giustizia, si sévères à l’égard des nobles, ne furent que la suite d’excès de toute sorte et de querelles meurtrières, et ils furent proposés par un des plus illustres citoyens, Giano della Bella, noble lui-même. Si donc la république florentine ne sut pas se constituer et s’étendre comme elle l’aurait dû, si, après trois siècles d’agitation, elle fut forcée de se rallier à une famille dont l’influence finit par tout corrompre, c’est parce que, là comme ailleurs, la féodalité ne sut pas ou ne voulut pas se transformer en aristocratie politique ; elle préféra, au grand rôle d’un patriciat fondé sur l’assentiment populaire, de vains privilèges, des tyrannies locales, et cette turbulence opiniâtre dont il restait encore, comme nous le verrons bientôt, des traces singulières au milieu du XVIIIe siècle.

Comment se fait-il que cette histoire de la Toscane, le plus beau sujet des temps modernes, n’ait pas de nos jours, au réveil des sciences historiques, été reprise à fond par un écrivain muni de toutes les données nouvelles que tant de recherches et de systèmes sur le moyen âge nous fournissent ? L’histoire florentine de Machiavel restera toujours un chef-d’œuvre littéraire ; mais ce n’est plus là l’histoire comme il nous la faut. D’ailleurs Machiavel n’avait pas l’intelligence des âges chrétiens, parce qu’il y touchait de trop près, et parce que, dans la ferveur de la renaissance, on ne pensait plus que dans l’antiquité et par l’antiquité. Aussi, non-seulement par les discours à la façon de Tite-Live qu’il met dans la bouche de ses personnages, mais même par ses réflexions propres, il se trompe fréquemment d’époque, et ses anachronismes d’idées nous transportent trop souvent dans l’ancienne Rome, au lieu de nous faire pénétrer dans l’intimité chrétienne de la vie florentine. Un historien nouveau placerait la Toscane au milieu de ce mouvement féodal et sacerdotal qui s’agiotait comme une mer immense sur la surface de l’Europe ; comprenant la féodalité et l’église, il apprécierait leur action réciproque ; éclairé par la science économique, qui a pénétré dans l’histoire, il exposerait le tableau de cette résurrection de l’industrie et du commerce, il révélerait la puissance des monopoles et les vastes opérations qui créaient une aristocratie bourgeoise au milieu des castes militaires ; il suivrait le développement des esprits parmi les agitations fécondes de la place publique, depuis Brunetto Latini, qui le premier enseigna à ses concitoyens des principes de politique rationnelle,