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ennemis, elles essaient une foule d’institutions ingénieuses, de formes politiques compliquées, pour tâcher d’éliminer, en les balançant, les passions violentes transmises par la barbarie, et l’on voit chez elles se presser, dans l’espace de trois siècles, les changemens d’état qui en ont coûté dix aux grandes nations de l’Europe.

Ce prompt développement des communes italiennes tient à la situation même qui les faisait renaître. Ailleurs les communes, bien plus ruinées qu’en Italie, se ranimaient lentement et se rattachaient aussitôt à la royauté, leur protectrice ; il se formait ainsi dans chaque état deux grands systèmes, celui des feudataires et celui des communes, relevant du roi l’un et l’autre et destinés à se fondre peu à peu ; l’église favorisait cette conciliation générale, la commandait même à l’occasion, et ainsi se préparait l’unité politique des monarchies européennes. En Italie, d’autres circonstances nécessitaient une solution plus brusque, et peut-être, à tout prendre, moins coûteuse. Le chef de la féodalité italienne, l’empereur d’Allemagne, n’y siégeait point ; il n’y venait que comme un conquérant, pour lever des impôts, avec des armées qui parlaient une autre langue et qui avaient conservé la barbarie grossière des anciens envahisseurs. Au lieu de coopérer avec l’église, qui, après tout, était l’agent principal du débrouillement de ce chaos, il voulait l’absorber dans l’empire et en faire une autre féodalité. C’est pourquoi l’église, à tout risque, suscita la résistance populaire. Ce mouvement se propagea par des explosions successives ; les communes, agissant à part, et chacune en son temps, ne purent se relier entre elles, parce que, au lieu de combattre sous la protection d’un maître, c’était le maître même qu’elles combattaient. Elles firent donc des républiques indépendantes, et ce fut là le principe de la destinée spéciale de l’Italie, de ses progrès et de ses gloires d’alors, de ses souffrances, de ses troubles et de ses efforts d’aujourd’hui. Ce fut un archevêque de Milan, Héribert, qui fonda pour ainsi dire l’esprit primitif des républiques italiennes ; ce fut lui qui le premier leur souffla une haine enthousiaste contre la domination étrangère ; ce fut lui qui poussa les bourgeois à ces guerres d’extermination et de démolition qu’ils firent aux seigneurs des campagnes et à leurs châteaux-forts ; ce fut lui qui, par l’institution du carroccio, leur donna un symbole sacré de liberté, une arche d’alliance qui les suivait dans les batailles, et autour de laquelle ils se faisaient tuer, parce qu’elle représentait la patrie même et ses lois.

Ainsi dès les premières origines on voit surgir en Italie les deux grands faits qui dominent toutes nos histoires, la lutte des peuples contre la féodalité, l’action politique de l’église ; mais celle-ci, à la faveur de cette lutte, et pour la mieux soutenir, pénètre dans l’état, s’empare