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— Ah ! signora, répliqua Teresa, que l’exclamation de sa maîtresse avait émue, pouvez-vous penser à la mort, quand tout vous parle de la vie et des félicités qui vous attendent !

Après avoir satisfait au désir de son cœur ingénu, Beata retourna paisiblement à Venise. La journée était déjà fort avancée. Le soleil, qui commençait à quitter l’horizon, projetait sur la ville merveilleuse ces beaux rayons jaunes d’un soir d’été, qui sont comme le dernier adieu du jour qui s’en va. Les cloches de Saint-Marc tintaient dans le lointain, et leurs notes mélancoliques étaient en harmonie avec l’aspect de la nature et les sentimens de Beata. Au lieu de franchir le petit canal de’ Mendicanti, qui est en face de Murano, faisant un détour par l’isola di San Pietro, la barque qui portait un si précieux trésor traversa lentement le canal di San-Marco, qui forme l’entrée magnifique de cette longue voie triomphale qu’on appelle il Canalazzo. Il était à peu près huit heures du soir. Les ombres s’allongeaient derrière la gondole silencieuse, dont le sillage ressemblait à un brasier d’étincelles d’or. À gauche, la belle église di San-Giorgio-Maggiore se dégageait de la pénombre qui enveloppait l’île tout entière, tandis que le quai des Esclavons, la Riva dei Schiavoni, était rempli d’une foule curieuse qui faisait face à la mer, comme si elle eût été frappée de quelque spectacle inattendu. Tous les regards étaient dirigés sur la gondole de Beata, dont la pâleur et la défaillance inspiraient une douloureuse compassion. Arrivée près de la Piazzetta, Beata crut apercevoir Lorenzo au milieu d’un groupe de personnes qui se tenaient sur le traghetto. Elle fit approcher la gondole, et, ayant reconnu en effet le chevalier Sarti entouré de plusieurs de ses amis, elle posa une main sur son cœur, et de l’autre elle lui envoya un baiser, comme pour lui dire un éternel adieu,… puis la barque disparut dans l’ombre de la nuit naissante. Un cri d’admiration s’éleva du milieu de cette foule attendrie par le témoignage d’un amour si profond et si naïf.

Ce fut là le dernier effort de la pauvre Beata. Au lieu du soulagement qu’elle avait espéré, sa faiblesse ne fit que s’accroître de jour en jour, et bientôt il ne resta plus le moindre doute sur sa fin prochaine. Elle ne souffrait pas, elle s’éteignait comme une flamme qui n’a plus d’aliment. L’intérêt qu’on prenait à cette noble créature était si grand à Venise, surtout parmi les partisans de la révolution qui allait s’accomplir, que la foule encombrait le palais Zeno pour avoir de ses nouvelles. Le chevalier Grimani fut l’un des premiers à accourir auprès de la femme qui lui avait été destinée, et dont il avait pu apprécier le caractère élevé. Après avoir reçu les sacremens de l’église avec une sérénité qui excita l’admiration du prêtre et des serviteurs de sa maison qui assistaient à cette pieuse cérémonie, Beata éprouva un soulagement moral dont son pauvre