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et le bonheur qui échappait ici-bas à son âme contristée, elle crut l’entrevoir dans un meilleur avenir. Dieu enfin, tel que Beata l’avait senti surgir de son cœur ému, loin d’être la contradiction du sentiment qui avait rempli sa vie, en était la conséquence et le couronnement.

Un soir, Beata, se trouvant plus faible que les jours précédens, était restée dans sa chambre seule avec son père, dont l’inquiétude pour la santé de sa fille était devenue extrême. On avait déjà consulté plusieurs médecins, qui tous avaient déclaré que ce n’était qu’une maladie de langueur pour laquelle il fallait surtout des distractions. Le sénateur était assis au chevet de la gentildonna, dont il contemplait les traits altérés avec une tristesse silencieuse. Une lampe ombragée de fleurs posée sur un guéridon éclairait à demi cette scène simple comme les grandes douleurs de la vie. La tête blanche du vieux sénateur Zeno s’inclinait sur le lit où reposait Beata, et de son regard attendri il semblait interroger le cœur de sa fille. Aucune explication n’avait eu lieu entre eux depuis la rupture du mariage projeté avec le chevalier Grimani. Comme cela arrive souvent en pareilles circonstances, le sénateur était presque le seul à ignorer ce qui était connu de tout Venise. Son esprit était trop préoccupé de la situation de la république et trop imbu des préjugés de l’aristocratie pour avoir deviné que l’inclination de Beata pour le chevalier Sarti était la véritable cause du mal qui avait dévoré une santé aussi florissante. Cependant l’effet produit sur sa fille par le renvoi du chevalier Sarti et par sa détention sous les plombs du palais ducal n’avait pas échappé à la sagacité du sénateur. Sans attacher au chagrin de Beata plus d’importance qu’il n’en avait à ses propres yeux, il comprenait que l’éloignement d’un jeune homme intelligent, qu’elle avait vu grandir à ses côtés comme un frère et dont elle avait soigné l’enfance, avait dû lui être extrêmement pénible.

— Comment vous trouvez-vous, ma fille ? dit le sénateur en prenant la main de Beata, qui avait la moiteur de la fièvre.

— Je me sens beaucoup mieux, mon père, répondit la gentildonna d’une voix affaiblie. Tout me donne lieu d’espérer que je serai bientôt en état de me rendre à Cadolce, dont le bon air achèvera de me guérir.

— Que Dieu vous entende, ma fille ! répliqua le sénateur en portant la main de Beata à ses lèvres. Après un moment de silence et d’attendrissement comprimé : — Vous savez, dit le sénateur, que le chevalier Sarti a été mis en liberté ?

— Oui, mon père, j’ai appris cette bonne nouvelle qui m’a rendue bien heureuse !

Un nouveau silence succéda à cet aveu, qui surprit le sénateur par la fermeté d’accent que Beata avait mise dans ses paroles. Ils