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L’imagination de Lorenzo, le charme de sa personne, la position singulière où il se trouvait entre l’aristocratie qui avait accueilli sa jeunesse et les instincts de sa nature avide de mouvement, de justice et de lumière, lui avaient acquis un grand nombre d’amis dévoués. On s’intéressait à son amour comme à un épisode du drame politique dont on attendait avec impatience le dénoument.

La délivrance inespérée du chevalier Sarti fut, pour la fille du sénateur, un événement qui précipita la crise où son âme était engagée. En voyant apparaître Lorenzo au moment où elle laissait échapper ce cri de miséricorde qui avait retenti dans l’église San-Geminiano, il lui semblait que Dieu, dont elle venait d’invoquer le secours, avait répondu à son appel. Étourdie d’abord par ce coup inattendu, puis enivrée du bonheur de savoir Lorenzo hors de tout danger, Beata, après ces secousses réitérées, qui lui avaient donné une énergie dont on ne la croyait pas capable, retomba dans une sorte de langueur qui effraya son père. La lutte intérieure qu’elle soutenait depuis si longtemps avait épuisé les forces de la gentildonna. La mort récente de l’abbé Zamaria, la situation de la république, la tristesse que son père et tous les siens en éprouvaient, achevèrent de briser sa constitution. Ses relations avec la famille Grimani étaient rompues, et ce n’est pas sans étonnement que leurs amis communs apprirent que l’alliance projetée entre les deux illustres familles était sacrifiée à M. le chevalier Sarti. La malignité du monde aristocratique, qui se trouvait offensé d’une préférence aussi choquante, n’épargna pas les suppositions blessantes pour expliquer une inclination si peu digne d’une patricienne. De telles injures, si elles fussent parvenues jusqu’aux oreilles de Beata, n’auraient point atteint le but que s’en proposaient les méchans. Son âme, après de nombreuses hésitations, était entrée dans un ordre d’espérances qui la plaçait au-dessus des misères de la vie. La lumière s’était faite en elle, et le mot suprême, le fiat lux, avait été prononcé par l’amour. Ses doutes s’étaient dissipés, les contradictions de son cœur et de sa raison, dont elle avait eu tant à souffrir, de ses devoirs comme fille et de sa tendresse pour Lorenzo, s’étaient enfin conciliées dans une vérité supérieure qu’elle entrevoyait depuis longtemps. Dieu, en se révélant à elle dans une de ces visions du sentiment qui témoignent autant de son existence que le spectacle merveilleux du monde extérieur, Dieu lui avait expliqué l’énigme de sa destinée. Aussi, dans la défaillance physique où elle était tombée depuis quelque temps, Beata éprouvait une douceur infinie, une sécurité profonde. Elle avait désormais une conscience nette du but où elle aspirait. Loin de répudier aucune des illusions de sa jeunesse, elle s’en faisait un appui pour se raffermir dans sa nouvelle croyance. Ce qui n’avait été jusqu’alors pour Beata que le pressentiment d’une nature bien douée lui parut une certitude,