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venas divini susurri, que la parole est impuissante à traduire. Elle tremblait, pleurait amèrement, et, dans cet état d’exaltation extraordinaire, Beata ne put s’empêcher de donner un libre cours à sa douleur en chantant ce qui lui venait à l’esprit. Elle se rappela ou plutôt son cœur lui dicta une belle phrase d’un Miserere de Stradella, pour une seule voix de ténor, qu’elle avait souvent chanté avec l’abbé Zamaria. Cette phrase de quelques mesures seulement, mais touchante et pathétique, Beata se l’appropria avec une telle puissance d’émotion religieuse, qu’elle la fit éprouver à toutes les personnes qui l’entouraient. On ne s’expliquait pas cet étrange épisode qui venait interrompre la cérémonie du jour.

Miserere met, Domine, disait-elle en levant ses beaux yeux au ciel, comme pour y chercher la force qui lui manquait, tout en regrettant les joies de la terre. — Miserere meî secundum magnam misericordiam tuam. Puis, reprenant les premières paroles qui exprimaient le grand besoin de son cœur défaillant, Miserere meî… miserere meî, Domine, s’écria-t-elle à plusieurs reprises en poussant un sanglot qui retentit dans l’église, et produisit un étonnement général. Chacun se demandait tout bas ce que cela voulait dire, lorsqu’au milieu de la stupeur silencieuse qui avait succédé à cette scène émouvante qui s’était passée derrière le treillage de la cantoria, on vit un inconnu fendre la foule qui remplissait la grande nef, en criant tout haut comme un insensé : — C’est elle… c’est elle… je l’ai reconnue à sa voix, c’est l’ange de ma vie… laissez-moi passer !

Celui qui causait un pareil scandale n’était autre que le chevalier Sarti, sorti de prison depuis quelques jours.


II

La république de Venise, resserrée presque aux limites de ses lagunes, berceau de sa puissance, n’avait plus alors que peu d’instans à vivre. Travaillée au dedans par le parti démocratique que les agens de la France y avaient suscité, pressée au dehors par les armées ennemies qui occupaient ses provinces de terre ferme, elle attendait que le sort se fût prononcé sur elle sans essayer de se le rendre favorable par une détermination courageuse qui l’eût au moins amnistiée devant l’histoire. C’est en vain que des hommes énergiques, comme François Pesaro et le sénateur Zeno, conseillaient depuis longtemps au gouvernement de la seigneurie de secouer les ténèbres dont il était enveloppé et d’opposer au danger imminent qu’ils lui signalaient une résistance plus efficace que des ruses diplomatiques. Ce gouvernement de vieillards, qui possédait plus de ressources qu’il n’en fallait pour braver les menaces de Bonaparte et tenir en échec sa fortune, retombait toujours dans cette léthargie