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que son aîné dans la carrière, et, bien loin de l’enchaîner aux intérêts de sa propre cause, il n’épargna rien pour l’émanciper. On ne supposerait guère que la pensée ingénieuse, le goût correct de M. Delaroche, ont commencé à se dégager sous l’influence de Géricault, et que les conseils du fougueux peintre de la Méduse ont été pour quelque chose dans l’exécution élégante, mais un peu froide, de tableaux comme Jeanne d’Arc en prison et Saint Vincent de Paul prêchant pour les enfans abandonnés.

Lorsque ces deux toiles parurent au salon de 1824, elles y furent accueillies comme une sorte de tempérament entre les témérités de la nouvelle école et les doctrines immobiles de l’école qui s’intitulait classique. Depuis deux ans, la révolution avait marché de façon à donner fort à penser aux hommes qui avaient cru d’abord ne saluer en elle qu’un progrès légitime et limité dans ses conséquences : elle ne se trahissait plus aujourd’hui par des symptômes ; elle s’affichait partout et plantait hardiment son drapeau en face des puissans de la veille. M. Delacroix achevait de décider le mouvement en exposant son Massacre de Scio ; M. Scheffer, bien loin alors de la manière réservée qu’il devait adopter plus tard, avait envoyé au salon sa Mort de Gaston de Foix, M. Sigalon sa Locuste ; M. Champmartin et quelques autres révolutionnaires en sous-ordre secondaient l’action des chefs et propageaient leurs principes. Il y avait là de quoi mettre en émoi les intelligences timorées. Bien des gens qui se fussent contentés d’une réforme s’effrayèrent de ce radicalisme sans merci. Entre les apôtres du mouvement à outrance et les défenseurs obstinés du passé, un troisième parti se forma, celui des modérés, et, comme il arrive toujours en temps de révolution, ce parti se trouva bientôt, sinon le plus entreprenant et le plus actif, du moins le plus nombreux. M. Delaroche, par la nature de son talent et le caractère mixte de ses ouvrages, résumait à merveille ces aspirations moyennes, cet esprit de mesure qui animaient alors la majorité. Girondin de l’art en quelque sorte, il s’était assez compromis déjà auprès des survivans de l’ancien régime pour ne pas être suspect de complicité avec eux, et d’un autre côté il ne craignait pas de protester contre les emportemens de ceux qui voulaient tout renouveler de fond en comble. De là le succès qu’obtinrent la Jeanne d’Arc, Saint Vincent de Paul et les autres tableaux que M. Delaroche fit paraître à la même époque : succès véritable, mais auquel les dispositions du moment eurent peut-être autant de part que les qualités mêmes des œuvres. Aujourd’hui l’on serait plus sévère. En dehors de leur mérite d’à-propos, ces œuvres en effet n’ont plus qu’une valeur assez contestable, et depuis que les conditions de la peinture anecdotique ont été mieux définies, depuis que les travaux de M. Delaroche lui-