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Le geôlier remit alors à Lorenzo trois ou quatre volumes reliés avec un certain luxe.

— Vous êtes bien légèrement vêtu pour la saison où nous sommes, reprit le geôlier avec sollicitude, et puisqu’on a égaré le manteau que vous portiez au moment de votre arrestation, j’ai cru pouvoir vous offrir cette robe de chambre en velours qui vous tiendra un peu plus chaud que votre bel habit de soie. C’est un cadeau que m’a fait une gentildonna en reconnaissance des petits services que j’ai pu rendre à son mari, qui a été six ans mon pensionnaire. Voyons, continua-t-il, enveloppez-vous à l’instant dans cette bonne douillette, et croyez bien qu’on n’est pas un Turc pour être chargé d’une si pénible mission.

Ces prévenances, ces attentions presque délicates de la part d’un gardien de ces tristes demeures étaient fort extraordinaires. Lorenzo, enveloppé dans la riche robe de chambre qu’on lui avait apportée, et dont les cordons de soie entremêlés de fils d’or entouraient plusieurs fois sa taille, se mit à feuilleter les livres que le geôlier avait déposés sur une petite table aux pieds vermoulus qui, avec une chaise et un lit délabré, formait tout le mobilier de sa chambre. Ces volumes contenaient les dialogues de Platon, la Divine Comédie et la Nouvelle Héloïse. Ce choix d’œuvres préférées, fournies par le hasard, étonna le chevalier. Il lut quelques pages du Phédon, du Philèbe, où le maître essaie de donner une définition du souverain bien, qu’il ne faut pas confondre avec le plaisir, et se plut davantage à la lecture de la République, où la description de la fameuse caverne, image de la vie humaine, avait une certaine analogie avec l’état de son âme et de sa situation ; mais la froide dialectique de Socrate et de son divin disciple, ces subtilités d’un art suprême, qui avaient pu intéresser le chevalier Sarti alors qu’il était libre et plein d’espérances, n’étaient pas de nature à le distraire longtemps de l’unique objet qui remplissait son cœur. C’était Beata, Beata dans les bras de son époux et radieuse de bonheur, qu’il avait sans cesse devant les yeux ! Son imagination exaltée lui retraçait tous les détails de ce mariage inique. Il voyait la fiancée à l’église prononçant le mot irrévocable, assise au banquet au milieu de ses nombreux amis, et puis se glissant furtivement dans la chambre nuptiale,… horrible pensée dont il ne pouvait supporter l’obsession !

— La voilà, s’écria-t-il avec désespoir, cette noble patricienne que je croyais au-dessus de la caste odieuse où elle est née, la voilà qui répudie devant Dieu les sentimens de sa jeunesse ! Rendue à elle-même et dépouillée de l’éclat que lui avait prêté mon fol enthousiasme, la fille du sénateur Zeno n’est plus qu’une femme comme les autres, une esclave des préjugés et des somptuosités de la société. Tout sourit maintenant à ses désirs. Après une jeunesse enchantée