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leur étaient confiés. Unité et indivisibilité, c’était là, pour la puissance impériale, une condition tellement absolue, qu’une loi faite par un empereur devenait à l’instant même obligatoire pour les autres et applicable par tout le monde romain, au moins quant à ses dispositions générales, les dispositions particulières gardant seules un caractère administratif purement local. La loi était en effet considérée comme l’émanation de la puissance impériale elle-même, résultat d’une même volonté, exprimée par un au nom de tous. Cette théorie de l’unité et de l’indivisibilité du pouvoir impérial reposait sur l’axiome juridique que le prince était le peuple lui-même, volontairement, légalement transformé. Or, le peuple étant de sa nature un et multiple, le prince conservait virtuellement son unité dans la multiplicité. Ceci est bien subtil assurément ; mais quiconque a étudié les jurisconsultes romains sait que tout s’enchaînait dans leur système avec une rigueur de logique qui ne reculait devant aucune conclusion.

Une conséquence pratique de la théorie dont je viens de parler était celle-ci : qu’aucun empereur ne régnait légitimement, s’il n’était reconnu, agréé par les autres, admis par eux dans la jouissance du pouvoir commun, et cette reconnaissance mutuelle, cette participation consentie à un même droit, s’appelait, en langage juridique, unanimitas. Unanimité et légitimité étaient synonymes. L’unanimité avait pour formule l’adoption : l’empereur agréé par les autres passait dans leur famille à titre de fils ou de frère, et prenait leur nom. Hors de là, il n’y avait plus que des tyrans, produits illégitimes de la révolte, dont les actes étaient nuls et les lois exclues du reste de l’empire, rescindées, rayées des codes après leur mort. La poursuite de l’unanimité avait ses règles et ses formules. Le poursuivant par droit d’usurpation (je ne parle ici que de ce cas), expliquant à sa manière les circonstances de sa révolte (car il avait toujours accepté l’empire malgré lui), s’excusait près de ses collègues et sollicitait leur consentement tardif. Si la demande était repoussée, le poursuivant faisait ordinairement la guerre. Si elle était admise, il recevait de l’auguste régnant une lettre dans laquelle celui-ci le traitait de frère ou de fils, et le déclarait césar en signe d’adoption. Bientôt arrivait un délégué porteur du manteau impérial et d’un rescrit qui élevait le césar au rang d’auguste et de collègue de l’empereur régnant. L’investiture opérait sa transformation légale, et le faisait passer de la condition de tyran à celle de successeur légitime des césars.

Le principe de l’unanimité, excellent au point de vue de la conservation de l’empire, n’était pas moins favorable à la tranquillité des provinces. S’il ne suffit pas à les garantir de la guerre civile, qui