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ports des Pyrénées, qui avaient été pour les masses inorganisées des Alains et des Suèves une barrière insurmontable, cédèrent à la bravoure disciplinée des Gaulois. Les provinces orientales de la Péninsule furent bientôt à feu et à sang. Au reste, le moine défroqué ne se montra pas trop emprunté sous le manteau de général, les leçons de Gérontius lui profitèrent malgré leur rudesse, tandis que l’esprit conciliant et les sages mesures d’Apollinaire lui ménageaient d’autres succès près des populations espagnoles. Le ridicule de sa métamorphose fut en pairie effacé.

Des provinces de l’est, la guerre passa successivement dans celles du centre et de l’ouest, pour se resserrer enfin dans les montagnes de la Galice et dans la haute chaîne au pied de laquelle coule le Tage. C’était le boulevard de l’aristocratie ibérienne et le berceau, de la famille de Théodose ; on s’y battit donc avec acharnement, mais le génie militaire de Gérontius et l’intrépidité de ses troupes surmontèrent tous les obstacles. D’ailleurs la défense manqua d’unité par suite de la jalousie des deux frères, chefs principaux de la guerre, qui ne cessaient de se contrarier dans leurs opérations : il fallut la mauvaise fortune pour les réunir. Bientôt aussi le peuple espagnol se lassa de suivre des hommes qui se battaient pour leurs privilèges, et les parens de Théodose se virent réduits peu à peu aux laboureurs de leurs domaines. Dans cette situation désespérée, ils surent tenir encore longtemps. Constant les traquait de montagne en montagne, ardent à leur poursuite et désireux de les prendre vivans ; mais Didyme et Vérinien lui échappaient toujours pour reparaître bientôt, et ce jeu coûta cher à l’armée gauloise. Enfin un traître dévoila la retraite des deux fugitifs et les livra avec leurs femmes pour de l’argent. Théodosiole et Lagodius, mettant bas les armes, gagnèrent la côte orientale, où ils s’embarquèrent furtivement : l’un se rendit à Constantinople, l’autre en Italie. Ce fut la fin de la guerre : les garnisons romaines firent leur soumission comme le peuple, et l’Espagne reconnut le gouvernement de Constantin. Cæsar-Augusta, aujourd’hui Saragosse, devint la résidence du césar, qui y fixa sa cour et le siège de son administration. Quant à Gérontius, il conserva le commandement supérieur de l’armée. De concert avec lui, le césar prit une mesure que justifiaient peut-être les droits de la conquête et le besoin pour la Gaule de rester maîtresse des communications avec son diocèse à peine pacifié, mais qui eut le tort de blesser au vif les Espagnols. Elle consistait à retirer des mains des habitans les ports des Pyrénées pour en remettre la garde à des soldats de l’armée gauloise. Constant le fit et choisit pour ce service de confiance un corps de Barbares auxiliaires, organisés jadis sous les auspices d’Honorius, et appelés de son nom honoriaques, braves soldats, propres à tout, sauf a garder de riches cités et des campagnes opulentes.