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sous silence les ambitieux et les intrigans, qui se présentèrent d’eux-mêmes. Parmi ceux que leur nom, leur condition, leur vie passée, signalaient particulièrement à l’attention du nouveau césar, se trouvèrent trois personnages dont je dois parler avec quelque détail : le Lyonnais Apollinaris, l’Arverne Decimus Rusticus, et un ancien moine, nommé Héros, que la voix publique désignait pour succéder au métropolitain d’Arles, chassé de son église, ainsi que je l’ai raconté plus haut.

Il n’y avait pas dans toute la province lyonnaise de nom plus ancien et plus considéré que ce nom des Apollinaires, auquel le poète évêque de Clermont, petit-fils de celui dont nous parlons ici, donna sa plus haute consécration historique. Les dignités publiques, et non-seulement les charges provinciales et municipales qu’on appelait petites, mais les charges de l’état, les grandes, telles que les préfectures du prétoire et les vicariats, les maîtrises des milices, la préfecture de Rome, semblaient être le patrimoine de cette famille, qui compta plus d’un patrice parmi ses membres. L’aïeul de Sidoine avait servi utilement la Gaule dans sa cité » au barreau et sous les drapeaux de l’empiré, pendant les règnes de Valentinien et de Gratien, et il y avait acquis la réputation d’un homme honnête, modéré, de bon conseil. En s’attachant à Constantin, il vit surtout l’homme qui tirait son pays de la ruine. Une particularité le distingua dans la longue succession des Apollinaires : c’est qu’il fut le premier chrétien de sa race, restée jusqu’alors obstinément païenne, soit par respect pour la tradition, soit par prétention aristocratique et affectation de vieille noblesse, car la noblesse provinciale, s’attachant à singer en toutes choses le patriciat romain, restait souvent païenne pour se vieillir. Sidoine, de qui nous tenons ces détails, nous vantas d’ailleurs dans son aïeul l’indépendance du caractère et la franchise de la parole : « Il sut, nous dit-il, donner, sans danger pour lui-même, un exemple ordinairement bien périlleux, celui de la liberté sous les tyrans. »

Constantin le chargea de la préfecture des Gaules, tandis qu’il prenait Decimus Rusticus pour son maître des offices. Quoique lié avec Apollinaire d’une affection qui datait de l’enfance, son camarade sur les bancs de l’école, son frère sous la tente et son collègue dans les charges publiques, Rusticus était d’une tout autre humeur que son ami. Né en Auvergne, il appartenait à cette race de montagnards durs, opiniâtres et quelquefois cruels, qui furent les héros de la Gaule indépendante contre les Romains, et devaient être encore ceux de la Gaule civilisée contre les Barbares. L’Arverne Decimus nous apparaît dans l’histoire comme un esprit systématique et absolu. Il semble avoir été un des types de ce parti gallo-romain qui