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Sous l’ardeur de ces excitations, les Bretons se soulevèrent. La révolte cette fois commença par les soldats ; des bourgeois s’y mêlèrent, et bientôt elle devint générale. On fit main-basse sur les fonctionnaires romains. Le vicaire du préfet du prétoire, représentant du gouvernement impérial au-delà du détroit, fut assailli dans sa résidence d’Eboracum, aujourd’hui York, obligé de fuir ou peut-être tué. Après de tels excès, il n’y avait plus qu’à changer d’empereur ; on brisa, on traîna dans la boue les images d’Honorius, et un manteau de pourpre, pillé vraisemblablement dans la garde-robe du vicaire, alla, par la main d’un séditieux, couvrir les épaules d’un autre séditieux, nommé Marcus, que les soldats proclamèrent en l’élevant selon l’usage sur un bouclier. Ce qu’était ce successeur improvisé des Jules et des Claude, l’histoire semble l’avoir ignoré ; elle nous dit seulement que les mêmes soldats qui l’avaient proclamé le tuèrent au bout de quelques jours, parce qu’il ne sut pas s’accommoder à leur humeur, ce qui ferait supposer que Marcus était de condition civile, et au fond assez honnête homme. Un premier interrègne suivit ce premier meurtre ; puis soldats et bourgeois se réconcilièrent, et d’un commun accord ils désignèrent pour remplacer Marcus un natif breton, nommé Gratianus, « un municipal de l’île, » comme s’expriment les historiens. Sorti des rangs de la société britanno-romaine, Gratianus voulut, à ce qu’il paraît, établir un gouvernement régulier, faire cesser le désordre dans les villes, la licence dans l’armée, mais il ne régna que quatre mois, et l’épée d’un soldat l’envoya rejoindre son prédécesseur dans les gémonies d’Eboracum.

L’épreuve n’était pas faite pour encourager les candidats bourgeois, et, aucun des chefs militaires ne se présentant, survint un second interrègne dont l’anarchie se serait prolongée indéfiniment sans une faveur du hasard. Les manipulaires d’une cohorte découvrirent dans leurs rangs un autre manipulaire parfaitement obscur, qui n’avait pas même eu dans les derniers événemens le mérite de la turbulence, mais qui s’appelait Constantin. Ce nom leur parut de bon augure. C’était en effet dans l’île de Bretagne que le célèbre fils de Constance Chlore avait reçu la pourpre d’une troupe de soldats en révolte ; c’était de là qu’il était parti pour soumettre la Gaule, l’Espagne, l’Italie, tout le monde romain enfin à son obéissance. Moitié par lassitude de l’interrègne, moitié par raillerie, ils présentèrent leur camarade à la cohorte, puis à la légion : bientôt le nouveau Constantin fut agréé et proclamé par toute l’armée, tant ridée parut plaisante. Le peuple imita les soldats, et il ne manqua pas de gens qui se rangèrent à ce choix par une inspiration superstitieuse, une sorte de foi dans les concordances de l’histoire. Le simple soldat accepta sérieusement le rôle qu’on lui offrait par dérision