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entré dans l’atelier de Gros ; mais ces deux éducations contraires ne lui laissaient en définitive que des principes assez incertains et une pratique sans consistance. Il fallait opter entre les doctrines ennemies qu’on lui avait enseignées à tour de rôle ; pour le moment, il en était encore à tâcher de les concilier. De là cette insuffisance dans l’exécution, de là aussi ces excès d’expression qu’il est juste de reprocher au tableau de Josabeth, et que ne sauraient racheter quelques efforts çà et là heureux, quelques intentions dramatiques.

Si incomplète que fût la première œuvre publique de M. Delaroche, elle ne laissait pas toutefois de mériter l’attention par une mise en scène assez habile et une certaine nouveauté dans l’effet général ; elle constatait surtout aux yeux des condisciples et des amis du jeune peintre un progrès que de récentes tentatives ne permettaient guère de pressentir. Lorsque l’on rapproche aujourd’hui de la Josabeth deux tableaux que la famille de M. Delaroche a conservés et qu’il peignit peu de temps avant d’essayer ses forces sur une grande toile[1], on comprend d’autant mieux le succès qu’il obtint au salon de 1822, et l’espèce de surprise que dut causer un pareil début à ceux qui avaient été témoins jusque-là d’erreurs beaucoup plus graves. C’est au reste le caractère propre et l’honneur de ce talent d’avoir tenu toujours au-delà de ses promesses ; ce sont ces manifestations progressives du savoir et de la volonté qui déterminent sa physionomie à part et sa valeur. M. Delaroche n’était rien moins qu’un de ces artistes d’instinct, une de ces organisations privilégiées auxquelles la puissance a été donnée comme une faculté originelle, et, pour ainsi dire, comme une condition de tempérament. Esprit élevé, mais ouvert à tous les scrupules, imagination délicate plutôt que passionnée, il avait besoin pour se développer à souhait de temps, de réflexion et de patience. Il lui fallait aussi le loisir de consulter l’opinion, de se rendre compte des besoins actuels, du mouvement d’idées qui commençait alors à se produire, et qu’il lui appartenait moins de dominer en maître souverain que de comprendre et de diriger en homme profondément habile.

Tandis que M. Delaroche en était donc à hésiter encore et à s’interroger sur ses aptitudes, M. Delacroix, plus jeune que lui de quelques années, donnait du premier, coup sa mesure dans une œuvre qui est restée célèbre. À ce même salon de 1822, où figuraient comme

  1. Le Tasse en prison visité par Montaigne, Salmacis et Hermaphrodite.