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des chefs dans cette délibération se trouva fort divisé : les uns voulaient qu’on se battît, les autres qu’on ne se battît pas. Suèves et Alains ne s’entendaient guère, et les Alains eux-mêmes se partagèrent en deux camps. Le roi Goar trancha la question en passant avec tout son peuple du côté des Mamans, en devenant, par la plus imprévue des péripéties, l’ennemi de ses compagnons et le compagnon de ses ennemis. Il ne restait à l’autre roi alain, Rispendial, et aux rois suèves qu’un parti à prendre, celui de rejoindre les débris de la borde vandale, et c’est ce qu’ils firent. Ayant reconstitué par leur union une force capable de prendre l’offensive, les confédérés revinrent au confluent du Mein, battirent les Franks, les balayèrent de la rive et franchirent le Rhin en face de Mayence : leur passage s’opéra le dernier jour de l’année 406, date funèbre écrite en traits de sang dans les annales de la Gaule.

Mayence, prise d’assaut et saccagée, éprouva toutes les horreurs d’une guerre barbare. En vain les habitans crurent trouver un refuge dans l’église, sous la sauvegarde de la religion : ils y furent égorgés par milliers ; le sang ruisselait comme une rivière sur le pavé, et l’autel fut souillé de cadavres. C’était là le traitement annoncé à toute ville des Gaules qui oserait et ne saurait pas se défendre. Maîtresses de cette clé du Rhin, les hordes se répandirent sur toute la zone riveraine, pillant, incendiant, massacrant ; rien n’échappait aux convoitises de ce dénûment sauvage pour qui tout était nouveauté et richesse, et les dépouilles des chaumières allaient s’entasser pêle-mêle, avec celles des palais, dans les chariots de bagages. Les pillages se succédaient jusqu’à ce que tout fût enlevé ou détruit, et ce qui avait pu échapper au fantassin vandale ou suève, la légère cavalerie alaine était là pour le reprendre. Aucune force romaine organisée ne tenait la campagne et n’arrêtait ces dévastations, car sitôt que les légions, ou plutôt les cadres vides qui depuis dix ans portaient ce nom sur la rive gauche du Rhin, avaient vu le fleuve franchi et Mayence aux mains des Barbares, elles avaient déserté des camps où elles ne pouvaient point se défendre. Une partie se dissémina dans les châteaux-forts et les villes garnies de bonnes murailles, l’autre alla se rallier au maître des milices Chariobaude et au préfet du prétoire Liménius, dans leur résidence de Trêves.

Sans doute cette métropole de la préfecture des Gaules, défendue par les eaux de la Moselle et solidement fortifiée, aurait pu résister longtemps à des Barbares inexperts dans l’art des sièges ; mais que serait devenue, pendant ce blocus du préfet, l’administration de la Gaule et de ses deux diocèses, la Bretagne et l’Espagne, ainsi que les relations de ces grandes provinces avec l’Italie ? Liménius et Chariobaude jugèrent que le parti le plus sage était de faire retraite vers la Loire ou le Rhône, sous la protection de leur petite armée, qui se