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orientale, elles arrivèrent dans la moyenne vallée du Danube, avec l’impétuosité d’esclaves fugitifs qui viennent de briser leurs fers.

Le choc fut si violent contre cette fourmilière humaine qui remplissait la vallée, et la terreur si grande des deux côtés, qu’une partie des tribus força la rive droite du Danube et se jeta en Pannonie, se croyant poursuivie par les Huns ; l’autre partie s’enfuit en remontant la rive gauche du fleuve, de sorte qu’il s’établit deux courans d’émigration dans les directions que j’indiquais tout à l’heure, l’un vers les Alpes et l’Italie, l’autre vers le Haut-Danube et le Rhin. Je n’ai point à m’occuper de la colonne qui alla se verser sur l’Italie, je dirai seulement que, depuis le temps des Cimbres et des Teutons, pareil danger n’avait pas menacé la péninsule romaine. C’était un ramas de toutes les races du Nord, conduit par Rhadagaise, prêtre et roi de sa horde, païen féroce qui avait voué solennellement toute la population de Rome en sacrifice à ses dieux. Stilicon fut le Marius des nouveaux Cimbres. Ayant attendu Rhadagaise dans les défilés de l’Étrurie, il l’enferma près de Fésules, sur une colline où celui-ci s’était retranché, fit périr toute son armée par la famine ou par le fer, et l’obligea lui-même à se tuer. C’était la seconde fois que Stilicon couvrait les approches de Rome : deux ans auparavant, il avait vaincu, à la bataille de Pollentia, Alaric, qui menaçait aussi la ville éternelle, et il lui avait imposé la paix. Une grande part revint dans ces deux victoires aux légions que Stilicon avait tirées des camps du Rhin : elles sauvaient Rome aux dépens de la Gaule.

La colonne que le mouvement d’impulsion avait portée vers l’Occident, et qui remontait le Danube, renfermait dans ses rangs des tribus sarmates ou slaves, mais surtout des Germains orientaux, restes des anciennes confédérations des Marcomans et des Quades, désignés sous le nom générique de Suèves. Cédant eux-mêmes au courant qu’ils avaient décidé, les Alains marchaient à quelque distance. Les émigrans, chemin faisant, s’incorporaient, bon gré, mal gré, tous les Barbares qui se trouvaient à leur portée, soit Slaves, soit Germains ; ils entraînèrent aussi quelques Illyriens sujets de Rome. Quoique placée hors de leur passage, et de force d’ailleurs à résister s’ils eussent voulu user de violence, la nation des Vandales-Astinges, qui habitait près des sources du Marosch, se laissa gagner par l’exemple et se leva tout entière pour émigrer ; mais au lieu de suivre sur la rive gauche du Danube la route des Alains et des Suèves, elle passa le fleuve et se dirigea vers le lac Pelsod, dans le voisinage duquel campait un autre rameau de la même famille, les Vandales-Silinges, cantonnés en ce lieu par le grand Constantin en 335. Or les Astinges, en quittant les sources du Marosch, avaient eu la fantaisie d’emmener avec eux des frères dont ils étaient séparés