Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 8.djvu/112

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avaient atteint le Bas-Danube, et, campés dans les plaines voisines du fleuve, pesaient sans intermédiaire sur le monde romain. Les masses de population européenne qu’ils avaient déplacées et refoulées dans leur marche encombraient maintenant la moyenne vallée entre le lit du fleuve et les Carpathes. C’était un pêle-mêle de tribus slaves et teutoniques, principalement de Goths, qui se croisaient, se heurtaient, s’agitaient en tous sens, comparables à une fourmilière en désordre. Les postes romains établis tout le long de la rive droite avaient peine à contenir dans ses limites cette foule incertaine, tumultueuse, incapable de se rasseoir, et que la moindre impulsion devait faire déborder au dehors. Deux débouchés, le cas échéant, s’ouvraient à elle, l’un au sud, et par-delà le Danube, vers les Alpes juliennes et l’Italie, l’autre à l’ouest, en remontant le cours du fleuve, vers la Germanie et les Gaules. L’événement qu’il était aisé de prévoir ne se fit pas attendre longtemps.

Les Huns avaient amené avec eux en Europe des nations de différentes races, déjà leurs sujettes en Asie, ou que, rencontrant sur leur route, ils avaient entraînées de gré ou de force dans leur tourbillon. Au nombre de ces dernières figuraient les Alains, qui habitaient le grand steppe du Caucase, promenant leurs maisons roulantes et leurs troupeaux du Palus-Méotide à la Mer-Caspienne : plusieurs tribus de ce peuple, enlevées par les Huns à leur passage dans le steppe, suivaient la horde conquérante plutôt comme vassales que comme alliées. L’Alain, à la taille élancée, aux cheveux blonds, aux yeux bleus, aux traits réguliers et droits, n’avait ni la laideur repoussante ni l’horrible férocité du Hun ; il passait même pour doux et sociable, réputation qui ne s’accordait guère avec la rudesse sauvage de ses mœurs. Transplanté du Caucase au pied oriental des Carpathes, il parcourait maintenant les prairies du Pruth et du Danube, armé d’une énorme lance et d’un plastron de grosse toile revêtu d’écailles de corne, et étalant sur ses épaules une casaque de cuir humain : décoration étrange qui était chez cette nation un privilège de la bravoure, car tout guerrier qui avait tué un ennemi avait le droit de l’écorcher et d’en tanner la peau, pour en faire, suivant le cas, un manteau d’honneur pour lui-même ou une housse pour son cheval. Ce digne vassal des Huns ne vivait pas toujours en bonne intelligence avec ses maîtres, et parfois il s’élevait entre eux des discussions dans lesquelles l’Alain courait à sa lance, et le Hun à ses flèches. Par suite d’un dissentiment de ce genre survenu en l’année 405, deux grandes tribus alaines résolurent de quitter secrètement le camp des Huns. Une belle nuit, sous la conduite de leurs chefs ou rois Goar et Rispendial, elles s’esquivèrent, et, tournant le coude que forment les Carpathes à leur extrémité