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habituellement consultés au commencement de ce siècle, et les catalogues de plusieurs collections importantes rédigés par lui témoignent de son goût et de ses connaissances spéciales. Son oncle maternel, M. Joly, conservateur du cabinet des estampes à la Bibliothèque et fils d’un homme qui a laissé dans l’exercice des mêmes fonctions les plus honorables souvenirs, représentait aussi par sa situation et les occupations de toute sa vie l’érudition en matière d’art. M. Delaroche se trouvait donc dès l’enfance entouré d’exemples et de traditions à peu près en rapport avec ses inclinations naturelles. M. Joly voulut d’abord l’attacher au département dont il avait la direction, espérant lui assurer plus tard la survivance qu’on lui avait autrefois ménagée à lui-même ; mais l’ambition du jeune homme était autre. Au lieu de se promettre dans l’avenir les paisibles succès d’un érudit, il rêvait déjà la gloire d’un peintre. Quand on lui parla de se vouer aux travaux qui ont pour objet l’histoire de l’art, il déclara nettement qu’il entendait exploiter le champ de l’invention pour son propre compte et étudier ce qui avait été fait avant lui, non pour le commenter et le décrire, mais afin de créer à son tour.

Bien que M. Delaroche soit entré de très bonne heure dans la carrière et que sa vocation n’ait été entravée par aucun de ces rudes obstacles que rencontrent si souvent les artistes à leurs débuts, il ne se révéla pourtant qu’assez tard et dans un ouvrage au fond médiocrement conforme aux inclinations de son esprit. Il avait vingt-cinq ans lorsqu’il exposa au salon de 1822 Josabeth sauvant Joas, tableau non sans mérite dans quelques parties, mais dont le style, à la fois emphatique et timide, accusait un talent qui se cherche encore et s’exagère à lui-même ses ambitions et ses méfiances. Élevé à l’école de Gros, M. Delaroche y avait puisé de gré ou de force un certain goût pour cette manière trop souvent fastueuse que le maître popularisait par ses exemples, et qui est à peu près à la vraie grandeur pittoresque ce que l’ordre colossal est aux ordres de l’architecture classique. D’autre part, le souvenir de quelques essais dans une voie toute différente, certaines habitudes d’exécution menue gênaient le sentiment et la main du jeune peintre, et contrariaient sourdement ses aspirations. Avant de se destiner à la peinture d’histoire, M. Delaroche avait étudié le paysage sous la direction de M. Watelet. Il avait même obtenu d’être admis au premier concours ouvert entre les paysagistes pour le grand prix (1817), concours à la suite duquel Michallon fut envoyé à Rome. Cependant les considérations de famille auxquelles il devait obéir d’abord ne faisant plus obstacle à ses goûts[1], il avait renoncé à la peinture de paysage, et il était

  1. Lorsque M. Delaroche fut en âge de commencer ses études d’artiste, son frère aîné, élève de David, aspirait à prendre rang parmi les peintres d’histoire. Le père des deux jeunes gens ne voulut pas qu’une rivalité trop directe s’établit entre eux, et il détermina son second fils à s’essayer dans un genre à part. M. Delaroche aîné ayant ensuite changé de carrière, toute liberté d’action fut rendue au paysagiste, qui se trouvait dès-lors le seul peintre de la famille.