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I

Le monde romain, si laborieusement reconstruit par l’épée et les lois de Théodose, retombait en poussière sous la main de ses fils. Enfans débiles d’esprit et de corps, qui n’étaient pas destinés à devenir jamais hommes, Arcadius et Honorius avaient porté sur les trônes d’Orient et d’Occident des caractères, des goûts, des procédés de gouvernement exactement pareils : même impatience avec même incapacité de régner, même aversion secrète pour les tuteurs qu’ils avaient reçus de leur père, et dont ils contrariaient l’administration par des complots de palais, même soumission enfin pour les eunuques auxquels ils obéissaient en croyant leur commander. Avec tant de points de ressemblance, ces frères se haïssaient cordialement. Tout devenait entre eux sujet de convoitise et d’envie : leur lot dans le partage de l’empire, l’éclat de leurs capitales, la grandeur et le nombre de leurs provinces, la force de leurs armées, le chiffre de leurs revenus ; et comme ce sentiment misérable était le seul qui donnât quelque prise aux tuteurs sur des caractères si rétifs, les tuteurs se gardèrent bien de le combattre, et ils en vinrent à se détester eux-mêmes plus encore que leurs pupilles. L’antagonisme de Rufin et de Stilicon fut pour le monde romain une source inépuisable de maux. Sous l’excitation de ces haines de ministres et de princes, la vieille rivalité de Rome et de Constantinople se ranima. L’Occident fit une guerre de vexations commerciales, de prohibitions, de confiscations à l’Orient, qui la lui rendit. On passa de là à la guerre des armes, et les trésors ainsi que le sang des Romains s’épuisèrent en pure perte sur la frontière des deux empires. Enfin on se jeta, d’une rive à l’autre de l’Adriatique, Alaric et les Goths, comme dans une lutte à mort deux ennemis désespérés invoquent à leur aide la peste et le poison.

Les nécessités de cette querelle parricide obligèrent Stilicon à dégarnir la Gaule de ses meilleures troupes, pour mettre l’Italie à l’abri d’une attaque des nations barbares, tandis que ses propres armées seraient en Illyrie. Il y avait dans cette mesure, sous quelques couleurs qu’on la présentât, un côté si blessant pour l’orgueil de la Gaule, si compromettant pour sa sûreté, que le tuteur d’Honorius n’osa en confier l’exécution qu’à lui-même. Parti de Milan en plein hiver par les Alpes rhétiennes pour gagner les sources du Rhin, il descendit le cours du fleuve jusqu’à la mer, visitant sur la rive gauche les grands établissemens militaires fondés jadis par Auguste, ces camps permanens considérés depuis quatre siècles comme le boulevard de l’extrême Occident. Le boulevard fut démantelé. Tout ce que