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m’a manqué pour lui jeter des pierres ; il s’est mis dans l’émeute ; il a attrapé une balle. Comme nous portions M. de Réthel, j’ai senti quelque chose qui se frottait contre mes jambes ; c’était Tambour, il pouvait à peine se traîner ; un camarade l’a pris et l’a porté là. Ce n’est pas que je veuille rien dire contre M. de Réthel ; mais la blessure de ce pauvre chien, ça m’a fait autant de mal que la sienne. Nous vivions là-bas comme des camarades ! »

Du revers de sa main Canada essuya une grosse larme. Le chien remuait faiblement la queue toutes les fois qu’on prononçait son nom. Il regardait son maître, et la vie s’en allait de ses yeux. Un frisson le prit, il voulut se lever, posa sa tête entre les genoux de M. de Francalin, lui lécha la main une dernière fois et tomba mort.

Un instant Georges resta la tête cachée entre ses mains. Il avait le cœur gros.

« Pardonnez-moi, monsieur, dit-il enfin ; si vous avez été chasseur, vous me comprendrez !

— Moi, dit le comte, j’ai pensé au chagrin que vous auriez en voyant tomber le chien ; il y a bien des hommes qui ne valent pas Tambour. »

M. de Réthel se coucha sur le dos, les yeux au plafond, et fit signe qu’il désirait garder le silence. Son bras était hors du lit, et quelquefois on l’entendait battre la retraite avec ses doigts contre le mur. Vers le soir, une fièvre ardente se déclara. Olivier tourna le visage du côté de la chambre, dans laquelle on avait allumé deux bougies. « C’est fini, » dit-il tranquillement.

Mme Rose lui demanda comme une grâce qu’on fît venir un prêtre.

« Faites, dit-il ; n’ai-je pas juré que, la lutte terminée, je vous appartiendrai tout entier ? »

Quand le prêtre eut été ramené par Canada, qui était allé le chercher à Saint-Louis-d’Antin, M. de Réthel voulut que tout le monde se rangeât autour de son lit, et fit signe à Mme Rose d’approcher.

« Moi que le démon de l’orgueil et de la révolte a perdu, je vous demande pardon de tout le mal que je vous ai fait, » dit-il d’une voix haute et claire.

Mme Rose se mit à pleurer.

« Ne pleurez pas, reprit-il ; je sens bien que si j’étais vivant et debout, je recommencerais !… Seulement je m’en irais malheureux, si je croyais que vous m’en voulez encore.

— Non, dit Mme Rose.

— Eh bien ! dit alors M. de Réthel, laissez-moi vous adresser une prière. Je sais que vous aimez la petite Jeanne ; c’est comme si vous l’aviez adoptée. Promettez-moi de veiller sur Jacques et de l’aimer. Il vous souvient d’un soir où il grimpait au sommet d’un arbre…. Je me suis senti remué jusqu’au fond des entrailles en le recevant