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en outrages, où le talent enfin, s’il ne se transforme sans cesse, n’a plus à nos yeux qu’une valeur douteuse et un crédit suranné.

Pourquoi M. Delaroche a-t-il été excepté de cette loi d’ingratitude ou d’oubli qui a successivement pesé sur les maîtres les plus éminens de l’école moderne ? Comment, en continuant de marcher dans la voie qu’il s’était frayée d’abord, a-t-il réussi à ne pas lasser nos mobiles sympathies ? La nature de ce talent si aisément intelligible, le caractère dramatique des scènes représentées, peuvent jusqu’à un certain point expliquer sa longue popularité ; mais il convient de l’attribuer surtout aux efforts du peintre pour faire mieux chaque jour, à un redoublement de sévérité envers lui-même à mesure qu’il se sentait plus approuvé par l’opinion, en un mot à cette probité d’artiste que rien ne saurait ni décourager, ni endormir, et dont on trouverait difficilement ailleurs un plus noble exemple. Jamais homme moins que M. Delaroche ne se crut le droit de se reposer dans la célébrité et de s’accommoder en sûreté de conscience de la haute situation qu’il s’était faite ; jamais talent ne travailla plus obstinément à se châtier. C’est cette constance infatigable, c’est ce zèle de l’art et de tous les devoirs qu’il impose qui méritent d’être honorés chez M. Delaroche autant au moins que sa rare habileté. Tout en appréciant l’incontestable mérite des œuvres qu’il a laissées, on peut faire ses réserves et relever certaines imperfections dans la manière, certaines intentions plutôt littéraires que pittoresques : en face d’un caractère si digne, d’une vie si loyalement remplie, les restrictions ne sauraient être de mise, et le respect absolu n’est que justice.


I

Paul ou plutôt Hippolyte Delaroche, — le nom sous lequel il est devenu célèbre n’étant qu’une sorte d’abréviation de celui qu’il avait reçu d’abord[1], — naquit à Paris en 1797. Sans être précisément issu d’une race d’artistes, il appartenait à une famille qui ne laissait pas de devoir aux arts et aux études qui s’y rattachent une certaine notabilité. Son père était l’un des experts en tableaux le plus

  1. Les tableaux de M. Delaroche antérieurs à l’année 1827 portent tantôt l’initiale de ce prénom « Hippolyte, » tantôt cette signature « Delaroche jeune. » Nous ne notons le fait, assez peu important d’ailleurs, que pour prévenir toute méprise sur l’authenticité de ces toiles. Peut-être importe-t-il davantage de signaler une erreur commise par les auteurs de la Nouvelle Biographie universelle et reproduite, depuis la mort du peintre, dans plusieurs articles de journaux. Il s’agit d’une Nephtali dans le désert « exposée au salon de 1819, » où, dit-on, l’ouvrage « resta inaperçu. » Le contraire eût été difficile, M. Delaroche n’ayant jamais exposé ni même peint aucun tableau sur ce sujet.