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REVUE. — CHRONIQUE.

je n’ose dire que je l’espère. Il aurait écrit les Femmes savantes, qu’il ne compterait pas un plus grand nombre de courtisans. Ses bons mots sont répétés comme s’il s’appelait Rivarol, et souvent on lui attribue des mots qui ne sont pas bons et qu’on vante à outrance comme des merveilles. Pour résister à la flatterie, il faut une forte dose de bon sens. M. Dumas est-il armé contre ce danger, qui se renouvelle chaque jour ? Saura-t-il dire à ceux qui recueillent ses moindres paroles : Si vous avez pour moi une amitié sincère, ne m’applaudissez pas en toute occasion, ne me prêtez pas tant d’esprit, ou je croirai que vous voulez vous moquer de moi ? Ce serait le seul parti sage, mais peut-être aujourd’hui est-il bien tard pour le prendre. L’auteur de la Question d’Argent, comme la plupart des écrivains applaudis, que la foule traite en enfans gâtés, s’est habitué à vivre en public, et la retraite, qui lui serait nécessaire pour produire des œuvres originales, l’obligerait à renoncer aux applaudissemens, aux sourires complaisans. L’air qu’il respire est plein de bruit. Il distingue à grand’peine ce qu’il dit de cequ’il écoute. S’il veut mériter le nom de poète comique, qu’il fasse deux parts de sa vie : qu’il se mêle au monde pour l’observer, et qu’il se recueille pour transformer ses souvenirs par la méditation.

Gustave Planche.


ÉTUDES LITTERAIRES ET MORALES DE RACINE, publiées par M. le marquis de La Rochefoucauld[1]. — Une des salles les plus curieuses et les moins fréquentées du musée du Louvre est celle où se trouvent réunis les esquisses et les cartons des grands maîtres. Ces ébauches incomplètes, à demi effacées par le temps, ces coups de crayon jetés à la hâte dans le feu d’une première inspiration ou dans un quart d’heure de loisir et de fantaisie, réminiscences d’autrefois ou promesses pour l’avenir, offrent un riche sujet d’étude à l’amateur et à l’artiste. Tel est le genre d’attrait qui s’attache aux deux volumes publiés par M. de La Rochefoucauld. À l’aide des documens qu’il a recueillis, rien n’était plus facile que de composer un véritable ouvrage, une thèse en règle avec prémisses, développemens et conclusion. Il ne l’a pas voulu. Plus soucieux de la gloire de Racine que de la sienne propre, il s’est contenté de vider devant nous le portefeuille du poète, et dans ce curieux inventaire pas une phrase, pas un mot, pas un bout de papier égaré n’a été omis : il a recueilli, annoté, étiqueté toutes ces reliques littéraires avec la fidélité scrupuleuse, nous dirions presque avec la touchante superstition d’un fervent adorateur. C’est un musée d’esquisses, de copies, dénotes manuscrites qu’il étale à nos yeux. Ne nous en plaignons pas ; il y a là encore de quoi nous intéresser.

De ces deux volumes, le premier contient l’histoire intellectuelle, le second l’histoire morale de Racine, écrite par lui-même et recueillie çà et là par son studieux compilateur. Avec cet esprit d’ordre et de discipline particulier aux écrivains du XVIIe siècle, Racine s’était habitué de bonne heure à tenir note de ses lectures, à les résumer en peu de mots comme l’écolier laborieux qui rédige le soir la leçon du maître. Chemin faisant, il amassait des richesses pour l’avenir, ut magni formica laboris, recueillant çà et là dans Homère les traits de son Achille, puisant auprès de la Déjanire de Sophocle, de l’Hippolyte d’Euripide,

  1. 2 vol. in-8o, imprimerie Dondey-Dupré.