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oui et non. Elle ne refuse pas péremptoirement d’y accéder ; mais elle répond à l’invitation qui lui en a été faite par une contre-proposition, à laquelle elle subordonne son acceptation. Nous devons ajouter qu’elle le fait avec des manières absolues et une raideur de parti-pris dont elle aurait pu d’autant plus aisément se dispenser qu’aux débuts de la guerre qui vient de finir, elle avait elle-même proclamé de nouveau l’opportunité d’une réforme.

Une grave question se pose ainsi devant les nations, et peut-être n’est-il pas sans à-propos aujourd’hui de montrer comment le droit maritime a été compris et pratiqué jusqu’à l’ère nouvelle ouverte par la déclaration du 16 avril 1856. L’histoire de ce droit est la meilleure défense qu’on puisse présenter de l’œuvre du congrès de Paris.

La déclaration du 16 avril 1856 a pour objet d’abolir la course et d’établir en général le droit maritime sur ces bases justes et libérales que la première puissance maritime du monde a méconnues trop longtemps, mais qu’elle adopte enfin avec un éclat et une plénitude de conviction qui doivent faire oublier le passé[1]. La course était la sœur de la piraterie : il n’y avait entre elles d’autre différence que celle de leurs actes de naissance, la première étant légitime, ou au moins reconnue, et l’autre ne l’étant pas. Du reste, le degré de moralité était, à peu de chose près, le même dans l’une et dans l’autre. Il s’agissait toujours en effet de la prise du bien d’autrui au profit de particuliers, avec accompagnement souvent obligé de meurtre et d’incendie.

Faire du mal à l’ennemi en tournant ce mal à son propre avantage est un droit que donne l’état de guerre ; mais à mesure que les sociétés humaines se sont perfectionnées, ce droit s’est modifié et restreint. D’abord l’exercice même de la guerre fut soumis à certaines règles qui, en lui ôtant ce qu’il avait de trop personnel pour chaque individu, en fit l’affaire de cette grande abstraction qu’on appelle l’état. Puis on fixa des bornes à la nature des hostilités : certaines choses restèrent permises, d’autres furent réprouvées. D’ailleurs l’intérêt des parties belligérantes fut dans tout cela consulté autant que là morale, car, soumises toutes aux caprices de la fortune, elles durent, en s’abstenant de faire tout le mal qu’il était en leur pouvoir de commettre, chercher à diminuer celui que d’autres pouvaient leur causer. Elles trouvèrent en outre des avantages directs à ne pas toujours user du plus terrible des droits que leur donnait la guerre, le droit de destruction, car il est évident qu’il est plus profitable de s’approprier que de détruire. Au lieu de tuer et de brûler, on s’habitua donc, après la victoire, à s’approprier et les choses et les personnes. De là naquit l’esclavage, mais ici il est permis de se demander

  1. Voyez les paroles de lord Clarendon dans le protocole XXII du congrès de Paris.