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je me livrais en Crimée, si l’on se rappelle que l’armée entrait dans la saison rigoureuse, qu’elle avait beaucoup souffert pendant l’hiver précédent, et qu’il s’agissait de lui épargner, autant que faire se pourrait, de nouvelles épreuves, en mettant à profit les leçons de l’expérience et les conseils de la science hygiénique. À la suite de cette recherche des meilleurs moyens de préserver la santé de notre armée, je résumai mes vues dans le rapport suivant, écrit le 10 novembre 1855, soumis au ministre de la guerre :


« Monsieur le maréchal,

« Ma mission me préoccupe vivement au triple point de vue de la nourriture, des abris et des vêtemens.

« L’armée n’aura plus, il est vrai, à supporter les misères des tranchées ; mais au lieu de vieux soldats elle compte aujourd’hui un tiers, sinon moitié, de recrues, de jeunes soldats imberbes, ayant au plus un an de service. L’hiver dernier, chaque homme recevait une haute paie de 50 cent, par jour pour travaux de siège. Cette ressource fera défaut en grande partie au préjudice des ordinaires. L’armée a été nourrie l’hiver dernier avec une rare sollicitude, et cependant le chiffre des malades pour les cinq premiers mois de l’hiver[1] était élevé. Il est donc urgent d’aviser, et de ne pas perdre de vue que l’armée, bien plus nombreuse que l’an dernier, dépasse en ce moment 140,000 hommes.

« 1° Des abris. — Aux troupes campées dans la forêt de Baïdar, je conseille de construire des huttes creusées dans le sol à une profondeur de 1 mètre 50 cent, avec toit à double pente fait à l’aide de branches recouvertes de terre tassée, ou mieux gazonnée. Au fond de la chambre doit être une cheminée opposée à la porte. Cette cheminée, sans cesse alimentée par le bois de la forêt, renouvelle l’air, même dans ses couches inférieures, sèche les parois, et fait d’une habitation qui, faute de bois, engendrerait des fièvres typhoïdes et le scorbut, un logement chaud et hygiénique. Là où l’eau et le bois abondent, le soldat est heureux. Au lieu de transporter dans les cantonnemens éloignés de Baïdar du pain, on y porterait des sacs de farine, et en faisant le pain sur place on économiserait le bois qui à Kamiesch arrive de Varna. La forêt est, au point de vue de l’hygiène, un campement de prédilection. Les six semaines que viennent d’y passer trois divisions du 1er corps ont été on ne peut plus favorables à la santé des soldats, surtout à celle des recrues.

« Les camps assis sur les plateaux accidentés de la Crimée sont dans des

  1. Voici l’état sanitaire de l’hiver 1854-55 :
    Mois Effectif Malades
    Octobre 46,000 hommes 3,200 hommes
    Novembre 55,000 8,000
    Décembre 65,000 6,600
    Janvier 75,000 9,000
    Février 86,000 8,000


    Dans ces chiffres ne sont pas compris les malades des infirmeries régimentaires.