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réellement davantage, il les trouvait insuffisans, et préférait la viande fraîche, même médiocre. Quelquefois la ration était de saucisson et de lard. On avait recours par exception aux paquets de poudre-viande. Cette viande en poudre était peu goûtée ; elle se prête à la sophistication, et conserve une odeur suspecte ; on craint toujours qu’elle n’ait été faite avec toute sorte d’animaux. Quand la troupe en avait fait usage pendant quelques jours, elle manifestait du dégoût et une grande répugnance.

Les moutons, trouvant encore à brouter quelques brins d’herbe insuffisans pour la nourriture des bœufs, se maintenaient en bon état. Ils étaient fort appréciés. Un grand nombre de chevaux ont péri dans les hivers de 1855 et 1856. Suivant l’exemple d’un savant distingué, M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, je prêchais pour qu’on mangeât du cheval, mais je fis peu de conversions. Cependant le cheval est herbivore comme le bœuf ; nul animal n’est plus propre, il est lavé, pansé tous les jours, et sa chair, pour être plus ferme, n’en est pas moins réparatrice ; elle peut faire d’excellentes soupes. En Allemagne, le cheval dépecé est vendu publiquement à l’étal du boucher. Les deux batteries d’artillerie de la division d’Autemarre, campée à Baïdar, se nourrirent de chevaux réformés, et n’eurent pas à le regretter ; elles furent épargnées par la mortalité et les maladies qui sévissaient si cruellement dans le reste de l’armée. Des expériences faites par des savans fort compétens ont prouvé que la chair des chevaux même malades et atteints du charbon, purifiée par le feu, pouvait être mangée sans danger. Je n’osais pourtant conseiller de manger les chevaux malades. Je savais que la viande de bœuf flasque, décolorée et gluante, qu’on avait été parfois contraint de distribuer dans les momens de pénurie, avait déterminé des flux diarrhéiques.

Le poisson, principalement le turbot bouclé, était très abondant sur la côte de Crimée. Tandis que la viande de boucherie, même médiocre, se vendait à Kamiesch 3 fr. le kilog., un turbot de dix livres ne coûtait que 4 ou 5 fr. Après la prise de Sébastopol, les officiers faisaient dans la baie de Stréteska, avec des filets trouvés à Sébastopol, des pêches miraculeuses. Je regrette qu’on n’ait pas établi de vastes pêcheries pour faire contribuer cette précieuse ressource à la nourriture de l’armée et varier un peu son alimentation. On trouvait aussi beaucoup de gibier, des cailles, des bécasses, au moment de leur passage, et des lièvres, des faisans, des chevreuils dans la forêt de Baïdar. On y a fêté la Saint-Hubert. Il va sans dire pourtant que cette nourriture de luxe n’allait pas à la table du soldat. Quelques officiers élevaient des poules pour avoir des œufs.

Le manque de légumes frais a été une grande privation pour