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respecté leurs villages ; rien n’a troublé nos bons rapports avec eux. Le bois qui couvrait les collines a été vite enlevé ; dès l’hiver de 1856, la forêt souterraine elle-même avait disparu : c’est le nom que nos soldats donnaient aux souches restées en terre après la coupe des arbres. On s’épouvante en Orient du passage des sauterelles ; la présence d’une armée est un fléau bien plus dévastateur : les sauterelles du moins ne dévorent que ce qui est sur le sol. Une distance de vingt kilomètres empêchait qu’on ne mît à profit les richesses forestières de Baïdar ; l’administration trouvait plus aisé et plus court de tirer ses bois de Varna. Après la prise de Sébastopol, les bois employés dans les fortifications ont largement alimenté les cuisines des régimens, et les troupes voisines de Baïdar ont seules continué à prendre du bois dans la forêt, à l’aide des arabas et des bœufs que l’administration mit à leur disposition. Les arabas sont des chariots du pays, grossiers et tout en bois, sans une parcelle de fer ; la route de Voronzof en était encombrée. Le bruit criard de leurs roues pesantes réjouit l’oreille du Tartare. Ce sont des arabas traînés par des bœufs qui apportaient aux Russes leurs approvisionnemens. À l’arrivée, les bœufs étaient dépecés, et le bois des chariots servait à les faire cuire.

À dix kilomètres environ de Kamiesch, sur un monticule, au centre de l’armée française, était placé le grand quartier-général. On y remarquait la petite et modeste tente où le général Canrobert avait passé l’hiver de 1855. Il avait donné au service des hôpitaux la baraque destinée au commandant en chef, voulant partager avec le soldat les rigueurs de la saison. L’exemple de l’abnégation parti d’en haut propageait l’héroïsme dans tous les rangs ; ce ne fut là du reste qu’un des mille moyens honorables et ingénieux dont le général en chef se servit pour soutenir le moral de l’armée à travers les plus rudes épreuves. Sur le point culminant du grand quartier-général, on avait bâti un clocheton en pierre ; le fronton encadrait l’horloge enlevée au beffroi de Sébastopol, horloge qui servait de régulateur à toutes les montres. Autour de la baraque du maréchal Pélissier se groupaient les bureaux de la poste et du trésor, le télégraphe électrique, l’aumônier en chef et la petite église improvisée où il disait la messe, enfin tous les grands services.

J’examinai bientôt dans tous leurs détails les camps, les régimens, les infirmeries régimentaires, les ambulances, les hôpitaux. Je consultai les généraux, les intendans, les chefs de corps, les médecins pour connaître les besoins du soldat, et fixer mes idées sur les mesures relatives au régime alimentaire, aux abris, aux vêtemens. Sur ces importantes questions, les opinions sont contradictoires ; j’ai dû chercher la vérité par moi-même, et l’on va voir quels furent les premiers résultats de mon enquête.