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hérissés de baïonnettes et de canons, ni la fermeté héroïque des défenseurs. Loin d’attendre les échelles, ils se sont précipités dans le fossé, et ils ont escaladé le parapet en montant les uns sur les épaules des autres. Ces positions une fois emportées, ils les ont victorieusement défendues pendant cinq heures consécutives contre les retours offensifs et acharnés des masses russes. Pendant l’absence du général Todtleben, retenu par une blessure loin des travaux de défense, les Russes avaient commis la très grande faute de fermer Malakof à la gorge, du côté de la ville, et de n’y laisser qu’un passage étroit. C’est dans ce passage que les colonnes russes, ne pouvant se déployer, se brisèrent inutilement sur les baïonnettes de nos soldats, devenus aussi inébranlables qu’ils étaient tout à l’heure ardens et emportés. L’ennemi comptait aussi sur le fil électrique qui devait mettre le feu à 60,000 kilogrammes de poudre et écraser sous les ruines du bastion l’armée assiégeante. On sait que, par le hasard le plus heureux, un coup de pioche fit découvrir ce fil : il fut coupé. Quelques instans plus tard, il faisait sauter les forts Paul et Alexandre pour couvrir la retraite des Russes.

La contrée occupée par les armées alliées avait environ seize lieues de circonférence. Le sol, généralement ondulé, est coupé de distance en distance par de profonds ravins, dont les eaux sont de bonne qualité ; il offre partout des emplacemens favorables pour les bivouacs et les positions militaires. Sur le flanc des montagnes se dessinaient la ligne fuyante et la perspective pittoresque des tentes des armées alliées. De belles routes macadamisées, établies et entretenues par nos soldats, les traversaient, facilitaient l’approvisionnement et le transport du matériel. Les baraques des marchands formaient de véritables villages, que les soldats, pour reconnaître la probité de ces industriels, appelaient Filouville, Coquinville, etc. Cependant une police bien faite inspectait les vins et l’eau-de-vie, et l’on se plaignit rarement qu’ils fussent sophistiqués.

Le climat de la Crimée, sauf quelques localités marécageuses dont l’assainissement serait facile, est d’une remarquable salubrité. À part les cantonnemens que la nécessité de la défense exposait aux influences paludéennes de la Tcheranïa, tout était dans une bonne situation hygiénique. Les chaleurs d’été, tempérées par une brise de mer, ne dépassent guère celles du midi de la France. Les hivers sont rudes ; le thermomètre centigrade descend à 20 degrés et même au-dessous ; la violence du vent rend le froid très difficile à supporter.

Nos armées n’ont pas trouvé de ressources dans le pays. Les Tartares n’ont pu vendre que quelques bœufs, quelques moutons, des poules et des œufs. Ils étaient aussi avides que les marchands dont nous avons parlé ; j’en ai vu qui demandaient 5 francs d’un cent de noix, et ils trouvaient des acheteurs. Nous avons scrupuleusement