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portion de la population vénitienne qui formait le parti de la France. Le chevalier avait été signalé à la police de l’inquisition, son arrestation avait été ordonnée et allait s’effectuer, lorsqu’on apprit la nouvelle de la bataille d’Arcole, puis de la victoire de Rivoli, remportée le 13 janvier 1797. Ces événemens prodigieux, qui achevaient la déroute de l’Autriche, excitèrent à Venise une émotion profonde. Le gouvernement fut atterré, et les novateurs, au comble de la joie et de l’enivrement, levèrent la tête, menaçant hautement l’aristocratie d’une prochaine déchéance.

Quelques jours après ce glorieux épisode de la campagne d’Italie, qui amena la reddition de Mantoue, Zorzi arriva un matin de bonne heure chez le chevalier Sarti, alla Giudecca. — Vittoria, vitloria ! s’écria-t-il à peine introduit dans la chambre à coucher de Lorenzo. Nous serons bientôt les maîtres de Venise, et il vous sera fait une bonne part, chevalier, dans le triomphe des amis de la liberté ; mais en attendant que ce fait inévitable s’accomplisse, je viens vous apprendre une nouvelle qui vous intéresse particulièrement. La fille du sénateur Zeno épouse dans trois jours le chevalier Grimani. Il s’agit d’empêcher cet odieux sacrifice, et je viens vous en offrir les moyens. Il y a demain une grande fête au casino du Salvadego, où doivent se trouver les Grimani, le sénateur Zeno avec sa fille Beata, et leurs amis les Badoer et les Dolfin. Vous irez aussi, chevalier, et entouré de vos amis, qui vous accompagneront sous un déguisement qu’autorise le carnaval, vous enlèverez la belle Hélène et vous partirez à l’instant pour la terre ferme. Villetard vous donnera pour le général en chef de l’armée française une lettre qui vous mettra à l’abri de toutes recherches.

— Etes-vous bien certain, monsieur, répondit Lorenzo abattu, que la signora Beata ait donné son consentement au mariage dont vous m’apportez la triste nouvelle ?

— Puisque tout est préparé pour la cérémonie nuptiale, jusqu’à l’appartement que doivent habiter les deux époux ! répliqua Zorzi avec impatience. Voulez-vous attendre que le fruit d’or ait été cueilli au jardin des Hespérides pour vous décider à prendre un parti ?

— Eh bien ! répondit Lorenzo tout à coup, je me rends à vos conseils et j’accepte l’offre de mes amis.


III

Le carnaval qui précéda de quelques mois la chute de la république de Venise ne fut ni moins gai ni moins bruyant que ceux des années précédentes. Cette ville unique, monument admirable d’un peuple industrieux qui, sans l’initiative d’un législateur suprême et sans l’aide d’un conquérant, s’était élevé, par ses propres