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avait succombé, autant par les fautes de ses défenseurs que par l’audace de ses ennemis, le sénateur Zeno avait prévu que l’Italie ne tarderait pas à devenir le théâtre d’une guerre pour laquelle il fallait se tenir prêt. Homme des vieux jours, imbu des idées du patriciat, qui avait fait la force de Venise, et dont il possédait plus que personne les grandes traditions et les sentimens élevés, le sénateur Zeno aurait voulu qu’en résistant avec vigueur au tumulte des passions contemporaines, l’aristocratie se montrât plus digne de l’autorité dont elle était investie pour le bien de la nation. Il n’était point éloigné de consentir à quelques réformes partielles de la constitution de l’état, à faire la paix des nécessités du temps en corrigeant les abus reconnus par l’expérience, et en laissant introduire dans l’administration tous les changemens qui seraient compatibles avec la nature de la souveraineté. Depuis que l’armée française avait franchi les Alpes, le sénateur avait compris, au langage impérieux du chef qui la commandait, que la destinée de Venise se trouverait inévitablement engagée dans la lutte qui commençait dans des circonstances si extraordinaires ! Il avait donc conseillé au gouvernement de son pays de s’allier à l’Autriche et de courir les chances de la guerre, qui ne pouvaient pas être plus désastreuses, disait-il, que celles d’une lâche neutralité, qu’on n’était pas sûr d’ailleurs de faire accepter par les deux puissances belligérantes. Il s’était efforcé de convaincre la seigneurie que jamais la république de Saint-Marc ne s’était trouvée en face de plus grandes difficultés, et qu’il fallait bien se garder de confondre la guerre actuelle avec celles dont l’Italie avait été le théâtre depuis la fin du XIVe siècle. — Vous êtes dans une erreur profonde, dit-il un jour en plein sénat après avoir longuement plaidé en faveur de l’alliance avec l’Autriche, si vous pensez que l’armée de bandits qui est à vos portes, et qui traîne après elle le souffle empesté d’une révolution perverse, ressemble à aucune de celles qui ont envahi la péninsule depuis Charles VIII, Louis XII, François Ier, jusqu’à Louis XIV ! Vous n’avez plus à traiter avec une vieille monarchie dont les traditions ambitieuses étaient contenues par un droit public qui obligeait tous les peuples de l’Europe. Que vous soyez les amis de la république française ou ses adversaires déclarés, le danger n’est pas moins grand pour la stabilité de cet état et des institutions qui le régissent. Menacés de périr par la conquête ou de voir cette ville glorieuse devenir la proie d’idées subversives de toute autorité, ne vaut-il pas mieux courir les hasards de la guerre en défendant l’œuvre de nos pères et la civilisation qui l’a consacrée ? Le sénat étant resté insensible à ces sages et patriotiques paroles, le père de Beata s’était écrié en s’appropriant avec bonheur un passage de l’Iliade : « La divine Pallas les prive de la raison. Ils approuvent qui