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Zorzi était un esprit trop pénétrant pour ne pas démêler la cause du silence et de la réserve que gardait Lorenzo, et, allant au-devant des scrupules qui retenaient sa confiance, il lui dit : — Vous êtes surpris, chevalier, de la démarche que je fais auprès de vous, et vous cherchez à comprendre quels peuvent être les vrais motifs de ma conduite ? Ils sont bien simples, je vous assure : c’est l’intérêt, c’est le plaisir de la vengeance, les deux plus puissans ressorts du cœur humain. Comme vous, je hais le sénateur Zeno, et comme vous, je suis menacé d’aller finir mes jours dans un puits ou sous les plombs du palais ducal. Vous voyez que ce n’est point une générosité d’enfant qui me porte à rechercher votre amitié. En vous offrant l’appui de mon expérience et celui de mes amis pour vous aider à sortir du pas difficile où vous vous trouvez, j’entends moins accomplir un devoir que satisfaire une passion ; c’est ce qui doit vous garantir la solidité de l’alliance que je vous propose. Je suis un homme politique, je ne suis ni un saint, ni un philosophe spéculatif en quête d’un futur contingent. Ce n’est point à mon âge qu’on se paie de chimères et qu’on court après la palme du martyre. Tenez-vous à la fille du sénateur Zeno, et voulez-vous empêcher qu’elle devienne la femme de ce fat de Grimani, aux lèvres de rose et au sourire vainqueur ? Je vous offre les seuls moyens par lesquels vous puissiez atteindre le but de vos désirs. Croyez-moi, chevalier, mettez-vous sous la protection d’un parti qui, d’un jour à l’autre, peut gouverner Venise et régénérer l’Italie. Vous n’avez pas d’autre espoir d’échapper à la colère du sénateur et de surmonter les obstacles qu’on oppose à votre amour.

Ces dernières paroles, prononcées avec l’accent de la sincérité, ébranlèrent le chevalier Sarti, qui répondit avec un reste de bon sens bien rare dans un jeune homme de dix-huit ans, chez qui l’imagination et le sentiment étaient les qualités dominantes : — J’accepte avec reconnaissance l’offre de votre amitié ; mais il me reste toujours à connaître, monsieur, ce que vous attendez de moi, et par quels services je puis aider au triomphe de la cause qui vous est si chère. Depuis que j’ai quitté le palais Zeno, vous ne l’ignorez pas, je n’ai plus aucune relation avec les familles patriciennes qui, avant ma disgrâce, m’accueillaient comme l’un des élus du Livre d’Or. Isolé, pauvre, en butte à la haine d’un homme puissant, je n’ai à vous offrir que ma jeunesse et l’ardeur de mes espérances.

Eh : per Dio santo ! s’écria Zorzi, ce sont les âmes qui gémissent dans le purgatoire qui aspirent au paradis, et des mécontens comme vous et moi peuvent seuls désirer des changemens, sinon des révolutions. N’est-ce pas à la race maudite de Caïn qu’on doit l’invention des arts utiles et même celle de la musique, qui nous console dans nos peines ? Si vous étiez le fils du sénateur Zeno, un