Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/843

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un ordre social condamné, et dont on peut tout attendre dans le vice comme dans la bassesse.

À la période d’exposition qu’il faudrait nommer le prologue du drame, aux jours déjà lointains de l’enfance et des confus souvenirs, appartiennent au contraire des figures presque consacrées par les respects populaires : c’est l’austère Montausier refusant à son royal élève le titre de monseigneur, attendu, disait-il, « qu’il n’était pas devenu évêque ; » c’est M. de Turenne, « qui acheva sa vie avec la même gloire et la même autorité, dont la majestueuse sépulture fut la récompense de ses vertus militaires et de la mort qui la couronna d’un coup de canon à la tête de l’armée. » Cette grande mémoire dompte jusqu’à la haine de Saint-Simon pour la maison de Bouillon et sa princerie, et c’est avec les rayons empruntés à cette auréole qu’il couronne le neveu du grand homme auquel il se trouve rattaché par le lien le plus cher à son cœur. « Jamais un plus honnête homme que M. de Lorges, plus droit, plus égal, plus uni, plus aise de servir et d’obliger ; d’ailleurs la vérité et la candeur même, sans humeur, sans fiel, et toujours prêt à pardonner avec une hauteur naturelle qui ne se faisait jamais sentir qu’à propos, mais que nulle considération ne pouvait faire rabattre ; dédaignant les routes utiles, si elles n’étaient pas frayées par l’honneur le plus délicat ; ménagé du roi, hardi à rompre pour les malheureux et pour la justice des glaces qui auraient fait peur aux plus favorisés, ne s’étant jamais souillé les mains, et ayant, disait-il, appris cette leçon de M. de Turenne. »

Lorsque Saint-Simon est parvenu à l’âge viril, ces traditions de grandeur morale et de probité militaire ne sont plus guère continuées que par Catinat et Vauban. Celui-ci meurt en pleine disgrâce, parce qu’en lisant le livre du savant maréchal, sur la dîme royale, le monarque « oublia ses services, sa capacité militaire, ses vertus, l’affection qu’il y avait mise, jusqu’à croire se couronner de lauriers ; en l’élevant, il ne vit plus en lui qu’un insensé pour l’amour du public. » Catinat s’éteint obscurément dans sa petite maison de Saint-Gratien, « déplorant les fautes signalées qu’il voyait se succéder sans cesse, l’extinction de toute émulation, le luxe, le vide, l’ignorance, la confusion des états, l’inquisition mise à la place de la police, voyant tous les signes de destruction et prédisant qu’ il n’y avait qu’un comble très dangereux de désordre qui pût enfin rappeler l’ordre dans le royaume. »

A. ces grands hommes de guerre enlevés par la mort sous le coup de leurs sinistres et trop véridiques prophéties, il faut joindre, dans l’œuvre de Saint-Simon, de graves et saintes figures qui semblent appartenir encore au temps des Bérulle, des Vincent de Paul, des