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rigueur à son beau-frère et au fils chéri du vieux roi repentant et abattu. Aussi peu de mois se passèrent-ils avant que celui-ci ne fût rétabli dans tous ses honneurs, au premier rang desquels figurait celui de voir le premier président à l’appel de son nom soulever ce terrible bonnet que les longs efforts des ducs et pairs n’étaient pas parvenus à ébranler sur sa base. Martyr vivant du cérémonial, Saint-Simon s’épuisa dans une lutte inutile contre des formes qui, très respectables lorsqu’elles conservent le fond en représentant des droits dont elles sont le symbole, touchent au ridicule lorsqu’elles n’ont d’autre prétention que de se conserver elles-mêmes. Pendant que les légitimés passaient leurs jours dans les splendeurs princières, le vieux duc, retiré à La Ferté sans cesser de se montrer à la cour et d’y tenter la faveur, continuait sous le cardinal de Fleury son rôle d’homme à projets ; il prétendait avoir donné le premier à celui-ci la salutaire pensée de garder la Lorraine, et se consolait de l’effacement de son rôle en peignant de ses plus chaudes couleurs le portrait du vieux ministre dans sa longue galerie des incapables et des ingrats.

Tel m’apparaît ce grand esprit faussé par le despotisme dont il accepta le principe en en répudiant les conséquences, et qui jeta des regards si profonds sur les maux de son temps, en demeurant aussi incapable de contribuer à les guérir qu’il était sagace pour les pénétrer. Homme d’une grande honnêteté naturelle, quoique singulièrement assouplie par l’ambition, auquel une ténacité sans exemple dans les idées fit perdre tous les profits d’une extrême souplesse dans la conduite, inférieur à Boulainvilliers comme publiciste aristocratique, à d’Harcourt, à Noailles et à la plupart de ses rivaux comme homme de gouvernement, il n’aurait pas laissé de souvenir dans l’histoire, si, sans prévoir une immortalité littéraire qui fut le prix de son indifférence, il n’avait légué à sa patrie ce monument unique auquel sied, autant qu’à l’œuvre de Montesquieu, l’épigraphe proles sine matre creata. Saint-Simon n’a pas seulement photographié son siècle, comme on l’a dit, il l’a évoqué devant nous dans le coloris de sa vie, et ses Mémoires sont devenus tout à coup pour la vieille société française ce que fut pour la société romaine l’exhumation de Pompéia.

C’est principalement dans ce livre que les générations nouvelles iront étudier l’époque où tant de misères succédèrent à tant de grandeurs. Quelque valeur qu’aient les travaux entrepris de nos jours sur les diverses parties du gouvernement et de l’administration de Louis XIV, quelle que soit l’importance des monumens inédits récemment publiés ou complétés, ces documens n’auront qu’une action fort secondaire sur un public enivré des émotions du long drame où il