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Le régent, irrité de manœuvres sans portée, mais non sans imprudence, exaspéré d’ailleurs par les bravades de Mme du Maine, cessa de repousser les vues naïvement cyniques de M. le duc, et celui-ci, connaissant la haine proverbiale de M. de Saint-Simon pour les bâtards, s’empressa de rechercher son concours. Il s’ouvrit secrètement à lui de sa résolution touchant l’éducation royale en réclamant près du régent l’active intervention de Saint-Simon. À sa grande surprise pourtant, ce dernier se refusa d’abord, avec une énergie qu’on aurait pu croire invincible, à seconder toute entreprise contre les légitimés : il fit valoir la nécessité de respecter le testament du feu roi et insista plus vivement encore sur le danger d’exposer l’état à une guerre civile, guerre que les légitimés, disposant de deux grandes provinces et des forces de la maison militaire, pouvaient avoir tout au moins la tentation d’allumer. Le cours de la conversation ayant bientôt fait comprendre très clairement au prince que M. de Saint-Simon, qui entrevoyait de si grands périls à dépouiller le duc du Maine de l’éducation royale, n’en trouverait plus aucun dans une mesure plus décisive qui aurait pour but de l’anéantir, M. le duc, peu scrupuleux sur les moyens, finit par promettre que la réduction des bâtards à leur rang de pairie serait comprise dans le programme du coup d’état pour lequel il avait réclamé si vainement jusqu’à ce jour l’appui de son interlocuteur. Alors s’opéra dans l’attitude et le langage de celui-ci une évolution dont le haut comique n’a jamais été dépassé sur aucune scène. Devant cette perspective enivrante, le crime et l’imprudence de toucher aux dispositions prises par le feu roi pour la sûreté de son successeur, les chances d’agitations et de luttes disparurent comme par enchantement ; l’horizon devint couleur de rose, et le politique timoré de la veille dépassa bientôt l’auteur principal de l’entreprise en sécurité comme en audace. Toutefois Saint-Simon, connaissant fort bien le prince égoïste avec lequel il traitait, entendait ne s’engager qu’à bon escient ; avant de se jeter dans la mêlée, il lui fallait un projet de déclaration sur le rang des bâtards libellé en bonne et due forme pour être lu et imposé en lit de justice. L’un des agens de M. le duc le lui porte enfin, rédigé par le secrétaire d’état La Vrillière, et se dit de la part de son maître pleinement d’accord avec le régent, en mesure de répondre que la déclaration passera le lendemain. « Jamais baiser donné à une belle maîtresse ne fut plus doux que celui que j’appuyai sur le gros et vieux visage de ce charmant messager. Une embrassade étroite et redoublée fut ma première réponse, suivie après de l’effusion de mon cœur pour M. le duc, et pour Millain même, qui nous avait si dignement servis dans ce grand coup de partie. ».