Page:Revue des Deux Mondes - 1857 - tome 7.djvu/838

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

On comprend qu’avec de tels sentimens, Saint-Simon dût être exaspéré de la politique suivie par le duc d’Orléans envers les légitimés aux première jours de sa régence, politique fort raisonnable cependant, et dont l’abandon temporaire suscita devant son gouvernement les seuls embarras graves qu’il ait rencontrés. Le régent ne pouvait aimer le duc du Maine, qui l’avait poursuivi avec acharnement durant la vieillesse du feu roi ; il avait d’ailleurs de justes motifs pour le redouter, puisque le testament de Louis XIV, en maintenant à son fils légitime ses immenses établissemens, lui avait conféré, par une précaution injurieuse, la surintendance de l’éducation du jeune roi avec une autorité illimitée sur toute la maison royale. Toutefois, en se prémunissant contre ces périls et en donnant à l’opinion publique soulevée contre le droit de successibilité déféré aux bâtards une satisfaction légitime, le régent ne pouvait oublier que ceux-ci jouissaient depuis trente ans d’une situation princière, et que les frapper dans leur état, c’était atteindre ses propres enfans dans la personne de leur mère. Usant donc d’une politique de tempérament en rapport avec la bienveillance de son caractère et la rectitude naturelle de son esprit, il leur retira par édit enregistré le droit éventuel à la succession royale, tout en leur conservant l’intégrité de leurs établissemens et les honneurs dont ils jouissaient à la suite des princes du sang. Or c’était là précisément rétablir ce rang intermédiaire dont la suppression par Louis XIV avait valu à M. du Maine l’amnistie si soudainement octroyée par M. de Saint-Simon. Ce rétablissement frappa donc celui-ci dans sa fibre la plus sensible, et son cœur saigna longtemps de cette blessure infligée par la main d’un ami. Tout à coup, et lorsqu’il attendait le moins une réparation dont le sens droit du duc d’Orléans n’admettait aucunement la nécessité, Saint-Simon la reçut plus complète qu’il n’aurait osé l’attendre.

Le duc du Maine, stimulé par la princesse qui, dans l’olympe de Sceaux, s’était ménagé une place à part entre les déesses et les poupées, entama avec les chefs du parlement des intrigues aussi misérables par elles-mêmes que par la qualité des agens qui s’offraient pour les servir. Dans le même temps, le prince avide qui portait alors si tristement le grand nom de Condé se prit, sous l’aiguillon de la cupidité plus que sous celui de l’ambition, à entamer une guerre acharnée contre les légitimés. M. le duc voulait enlever à ceux-ci une portion de leurs établissemens pour les faire attribuer aux membres de sa branche ; il était résolu surtout de se faire attribuer à lui-même et à tout prix la surintendance de l’éducation et de la maison du roi, qui, outre ses avantages lucratifs, lui paraissait nécessaire pour assurer son influence à la majorité prochaine du monarque.