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régent et son ministre paraissent d’ailleurs avoir maintenu l’ambassadeur extraordinaire dans la plus singulière ignorance des négociations très délicates qui précédèrent l’accord important qu’il fut appelé à l’honneur de revêtir de son nom.

Un double mariage de famille qui, par une sorte de changement à vue, fit, à la surprise générale de l’Europe, passer tout à coup l’Espagne d’une hostilité acharnée contre le régent à la plus étroite intimité, c’était là un événement assez grave pour qu’un homme dont la discrétion ne fut point la qualité dominante ne manquât pas d’en révéler à la postérité les motifs véritables, s’il les avait connus ou seulement soupçonnés. Et s’il est vrai, comme des documens plus récemment publiés paraissent l’avoir établi, que la principale clause de cette transaction préparée entre le cardinal Dubois et le père d’Aubenton, confesseur du roi catholique, ait été la substitution prochaine d’un jésuite à l’abbé Fleury dans la direction de la conscience de Louis XV, quel transport de joie n’aurait pas éprouvé Saint-Simon en révélant un pareil fait ! Il ne fut guère mieux renseigné sur la conspiration du prince de Cellamare, qui avait précédé les mariages, et ce n’est pas sans étonnement qu’on trouve dans les documens judiciaires recueillis par Lémontey[1] des faits authentiques qui font évanouir la plupart des bruits sans consistance recueillis par un écrivain pourtant si investigateur. Si les innombrables intrigues nouées par Alberoni en France contre le duc d’Orléans, en Angleterre contre la dynastie régnante, en Italie, en Allemagne et jusqu’au fond du Nord contre la paix du monde, fournissent au membre du conseil de régence de longs chapitres, cette partie de son œuvre, incolore, obscure et diffuse, est si peu conforme à ses vives et libres allures, qu’on y devine, avant même qu’il ne le confesse, un remplissage étranger. On sait en effet qu’elle se compose de la copie à peu près textuelle des lettres interceptées par M. de Torcy, alors surintendant des postes, qui se consolait chaque matin par la violation du secret des correspondances de ne plus disposer du secret des affaires étrangères. C’est de la main de ce ministre en non activité qu’émane le contingent suspect fourni à Saint-Simon par l’art d’amollir les cachets.


IV

Dans le déclin de plus en plus marqué de son importance politique, Saint-Simon se consolait de l’échec qu’éprouvaient la plupart de ses idées par le triomphe de la plus inextinguible de ses passions.

  1. Histoire de la Régence, tome II, pièces justificatives.